Changement d’époque ?

Denis Sieffert  • 24 décembre 2008 abonné·es

Les fins d’année inspirent généralement des charlatans de tout poil qui font les délices des gazettes avec des prophéties qui ne se réalisent jamais. Donnons-leur ce tuyau qui devrait, cette fois, leur garantir le succès : 2009 sera une année terrible. Il n’y a en disant cela aucune chance, hélas, de se tromper. Ce n’est d’ailleurs pas quelque diseuse médiatique de bonne aventure qui le prédit, mais les économistes de l’Institut national de la statistique économique (Insee). Ce n’est pas le marc de café, mais le simple examen d’un mouvement qui est déjà largement engagé. Les conjoncturistes, comme on les appelle, prévoient un recul d’activité de 1,1 % en France pour le premier semestre. Et un déficit public qui atteindra 3,9 % du PIB. Où si l’on veut du « plus concret », du « trop concret », ce sont 169 000 emplois qui devraient disparaître d’ici au mois de juin prochain. Cela, en plus des 97 000 détruits au cours du second semestre 2008. L’industrie est évidemment la principale victime de cette hémorragie. Le mouvement est déjà spectaculaire autour de l’automobile, même si nos firmes ne sont pas encore dans la situation de faillite virtuelle de leurs concurrentes américaines.
Quand Peugeot met ses ouvriers de Mulhouse au chômage technique pour un mois, ils sont encore payés, mais ce n’est déjà plus le cas des employés des entreprises de sous-traitance, et des fournisseurs, qui vivent autour du géant de l’automobile. Encore ces quelques chiffres bruts ne rendent-ils compte qu’imparfaitement de l’ampleur de la crise.

Il y faut ajouter les phénomènes de précarisation qui appauvrissent ceux qui ont encore du travail. Il y faut ajouter aussi tout ce qui ne se quantifie pas mais relève du climat social. Nous ne sommes pas loin de penser que l’accumulation des profanations de cimetières musulmans, ou d’incendies de mosquées, comme dernièrement encore à Saint-Priest, entre dans cette catégorie nauséeuse. Voilà face à quoi nous sommes. Une crise mondiale tombée tout droit du capitalisme financier, et qui frappe aujourd’hui les catégories les plus défavorisées. Une crise venue des États-Unis et qui plonge le reste du monde dans les ténèbres. Voilà ce qu’il est aisé de prévoir parce que c’est déjà une partie de notre présent. Une crise sociale sans précédent depuis les années 1930. Mais il y a le reste, tout le reste, sur lequel les oracles sont muets. Et ce reste, c’est la politique. Comment vont réagir les peuples ? Abattement ou révolte ? L’exemple de la jeunesse grecque nous confirme que l’alternative existe. La hâte avec laquelle le tandem Sarkozy-Darcos a remisé dans ses tiroirs la réforme des lycées montre au moins que le pouvoir a rapidement pris la mesure de la radicalité du mouvement encore naissant, et des risques de contagion. Mais la politique, ce sont aussi les perspectives qui sont tracées. Les leçons qu’il convient de tirer de cette crise peut-être sans précédent. Derrière l’apparente sophistication des mots, derrière les « subprimes » et la « titrisation », qui constituent les caractéristiques techniques de cette crise, c’est bien tout de même d’une crise classique du capitalisme dont il s’agit.

Au-delà du drame social qui se profile – ou qui est déjà là –, la question est de savoir ce qui va demeurer dans la conscience collective. D’ores et déjà, une bataille d’interprétation fait rage. On aimerait trop, du côté du gouvernement, des élites économiques et trop souvent médiatiques, nous convaincre que tout cela résulte d’un simple défaut de régulation. Certains sont déjà prêts à repartir comme si de rien n’était. Voir le banquier Michel Cicurel, président de la Compagnie Edmond de Rothschild, qui, dans le JDD , nous fait partager son optimisme : 2009 sera pour lui « l’année des opportunités et des soldes » . Pendant la crise, les affaires continuent. Il n’est donc même pas sûr que le néolibéralisme subisse une défaite durable. Mais il est tout aussi possible, au contraire, que la crise marque le début d’un changement d’époque. La principale rupture que notre conscience pourrait entériner serait évidemment d’ordre écologique. Le seul fait que nous sommes obligés de prendre l’industrie automobile comme marqueur de la crise montre toute l’étendue du chemin à parcourir. Nous ne pouvons faire autrement que nous alarmer devant la chute de 40 % des ventes au mois de novembre, avec le cortège de chômeurs et de misères que suggère ce chiffre. C’est qu’on ne saurait évidemment confondre le chaos social engendré par la crise avec une organisation raisonnée de la société sur d’autres bases. Mais cette bataille d’interprétation est loin d’être gagnée. C’est l’affaire d’une vraie politique de gauche que d’aider chacun, par le verbe et par l’action, à tirer toutes les leçons de ce que nous vivons.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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