« Notre mission : maintenir le fermier sur sa terre »

Deux représentants d’agriculteurs palestiniens, Issa Elshatleh et Judeh Jamal*, témoignent des difficultés rencontrées par les paysans et des opérations mises en place pour les aider, notamment grâce au commerce équitable.

Gaël Lombart  • 24 décembre 2008 abonné·es

Quel est le rôle de vos organisations respectives ?

Judeh Jamal : Le Comité palestinien de l’entraide agricole (Parc) est une association qui, depuis 1983, agit pour le développement de l’agriculture palestinienne, la promotion des produits qui en sont issus et leur exportation. Nous œuvrons également pour le travail des femmes. 150 salariés et plus de 4 000 bénévoles travaillent dans la bande de Gaza et en Cisjordanie avec des milliers de producteurs réunis en coopératives et en associations de fermiers.
Issa Elshatleh : Le Syndicat des fermiers palestiniens (PFU) a été créé en 1993. Il défend le droit des paysans en essayant de peser sur les lois agricoles. Nous menons des actions de lobbying et de plaidoyer, luttons contre les pesticides et pour le renforcement des capacités techniques, administratives et financières des coopératives et des organisations de fermiers, ainsi que pour l’instauration de services de santé. Nos actions concernent également le développement, via le microcrédit, l’amélioration de la qualité de l’huile d’olive, l’accès à l’eau, la protection de l’environnement… Chacun de ces axes fait l’objet d’un programme, ce qui permet d’entretenir une relation continue avec le producteur.

Aujourd’hui, la situation des producteurs palestiniens semble s’être dégradée…

I. E. : Avant l’an 2000, il y avait 120 000 à 150 000 paysans palestiniens en Israël. On parle maintenant de 25 000 travailleurs. Depuis la deuxième Intifada, le blocage, la construction du mur, la confiscation des terres pour la construction de colonies israéliennes ont considérablement entravé le travail de la terre, le transport et le commerce. Pour trouver un débouché, il nous fallait nous coordonner avec des associations et des entreprises étrangères du commerce équitable, comme Artisans du monde, ou du commerce traditionnel. Le premier permet de faire du lobbying auprès de la France ou de l’Union européenne pour qu’elles ­fassent pression afin d’améliorer les conditions de vie des Palestiniens.

Comment conjuguez-vous vos efforts ?

I. E. : Le PFU est là pour appuyer les activités du Parc. Nous sommes complémentaires mais autonomes. Le PFU a été initié par le Parc puis est devenu indépendant. Le principe est le même dans les coopératives, où les femmes suivent une formation pour ensuite gérer elles-mêmes les projets. Il y a une volonté de ne pas créer de système de dépendance, plutôt une sorte de coalition entre associations. L’association rurale des femmes est ainsi devenue indépendante, comme celles des jeunes producteurs et d’ingénieurs agronomes, les sociétés de mise en bouteille et d’emballage, le centre pour la certification du bio… On essaie de coordonner nos actions, l’objectif étant de faire du développement rural en général. Quand le Parc intervient dans un village, chaque association mène ses projets, mais l’objectif commun est d’améliorer durablement les conditions de vie dans le village.
J. J. : Le but n’est pas de travailler à la place des paysans, mais d’apporter un appui pour que leur projet survive. Nous leur apportons des moyens techniques, les formons, servons parfois d’intermédiaires avec les associations et les entreprises de commerce équitable, les aidons à valoriser leurs produits et à trouver des marchés locaux et internationaux. Notre mission est de trouver le bon moyen pour aider ces agriculteurs à continuer leurs activités. Pour nous, l’agriculture ce n’est pas que la recherche du profit, c’est maintenir le fermier sur sa terre avant qu’elle ne soit confisquée par Israël.

L’eau est également un enjeu important…

I. E. : Avant de construire le mur, les Israéliens ont bien étudié le système de drainage de l’eau. Ils l’ont ensuite bâti en s’appropriant les zones où l’eau se concentre. 82 % de l’eau des Territoires palestiniens est confisquée par Israël. On a le droit d’utiliser les 18 % restants, mais ils restent contrôlés par l’État hébreu. Il y a un quota au-delà duquel nous ne pouvons pomper, et il est interdit d’ouvrir de nouvelles stations de pompage. Sur chaque puits, il y a un compteur qui indique combien d’eau a été tirée. Pour nous, l’eau est une question politique. Un Palestinien consomme environ 82 litres par jour ; un Israélien, 305 litres ; un colon israélien, 350 litres.
J. J. : À défaut de puits, les Palestiniens peuvent utiliser l’eau de pluie. Le Parc a aidé à installer des citernes en béton, sous terre, pour la collecter. Il y a une vingtaine de villages qui n’ont pas de réseau d’eau potable. Les habitants n’ont que cette source. Dans la bande de Gaza, ce n’est pas un problème de capture mais de qualité d’eau. Comme elle est très salée, il est difficile de la boire et de faire pousser des légumes. Les maraîchers doivent s’adapter, trouver des cultures peu gourmandes. Auparavant, dans la vallée du Jourdain, on cultivait des bananes. Maintenant, on a planté des dattiers : ça consomme moins d’eau et ça supporte l’eau salée. On travaille aussi sur l’optimisation de l’eau, de manière à utiliser une même quantité sur une surface plus grande. On utilise le système de goutte-à-goutte, mais il est très cher.

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