Surpris par l’amour

Dans « les Inséparables », Christine Dory met en scène une relation difficile entre une sage employée et un artiste marginal. Un premier film prometteur.

Christophe Kantcheff  • 11 décembre 2008 abonné·es

La mort de Guillaume Depardieu a touché bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer. Sans doute cristallisait-il une certaine représentation de la fragilité à vif, et malgré tout résistante. C’est la mort d’un jeune homme à la sensibilité à fleur de peau qui a ému, dont tout le monde savait le handicap – la jambe coupée – mais dont la profondeur des blessures intérieures restait insondable.
Guillaume Depardieu tient dans les Inséparables , premier long-métrage de Christine Dory, le rôle masculin principal. L’émotion que suscite l’apparition du comédien sur la pellicule est évidemment très forte. Impossible de ne pas remarquer sans pincement au cœur les différentes cicatrices qui marquaient son corps comme le témoignage d’une existence chaotique. Mais surtout, comment ne pas être à nouveau subjugué par sa présence incroyable, sa justesse de tous les instants, son intelligence du jeu qui lui offrait une large palette de tonalités, tranchantes et absolues, dans l’un de ses rôles les plus magnifiques, le général de Montriveau dans Ne touchez pas la hache , de Jacques Rivette, alors que son registre est plus tendre dans les Inséparables, même si le personnage qu’il interprète n’est pas homme à faire beaucoup de concessions.

Et c’est là une des réussites du film : qu’aux yeux du spectateur, Guillaume Depardieu, malgré les circonstances, entre dans la peau de son personnage, Boris, qu’il devienne Boris. Cela n’est possible que parce que celui-ci est suffisamment fort. Artiste en marge et pourtant dessinateur talentueux (ses dessins sont réalisés pour le film par Éric Arbez), Boris est miné depuis des années par la drogue, qui l’empêche trop souvent de créer et de faire reconnaître la mesure de son travail. Mais un événement vient bousculer Boris : il tombe amoureux.

Les Inséparables est effectivement un film d’amour entre un marginal et une employée d’agence immobilière, Sandra, interprétée par Marie Vialle. Deux mondes éloignés a priori, mais Christine Dory ne joue pas sur les clichés de l’artiste incompris confronté à une jeune fille conventionnelle. C’est précisément la manière dont cette étrange relation se noue et s’entretient qui l’intéresse. Insistons sur ce point : les Inséparables ne raconte pas une passion, gouvernée par l’attirance sexuelle et la déraison, mais une histoire où le désir et la raison coexistent. Sandra et Boris s’aiment, et réfléchissent en même temps à cet amour difficile, qui amène la première à trouver de la drogue quand le second est en manque, ou à transformer en épreuve de force la possible naissance à venir d’un enfant. Une histoire risquée, mais sans l’absolu du romantisme.
Tout n’est certainement pas réussi dans ce premier film, mais il sort du lot du cinéma français autant par sa capacité à ne pas aller là où on pourrait l’attendre (par exemple, la drogue n’est pas abordée sous l’angle du « lourd dossier social », plombant à souhait), que par son amoralité, bienvenue en notre temps de bien-pensance scénaristique, que le récit développe par rapport à l’avortement ou à la drogue. Certaines scènes frappent aussi par leur beauté concentrée, comme l’annonce faite à Sandra de la mort de son père, ou les plans de la côte à Calais.
Une histoire d’amour singulière, qui fraye entre humeur légère, voire drôlerie, et violences intimes : avec les Inséparables , Christine Dory signe une entrée en matière qui ne passe pas inaperçue.

Culture
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