Les 32 heures, vite !

En période de chômage de masse, l’accroissement du nombre d’heures supplémentaires est une hérésie. Pierre Larrouturou* explique ici pourquoi.

Thierry Brun  • 26 mars 2009 abonné·es

Le gouvernement veut augmenter le nombre d’heures supplémentaires. Dans une période de destruction de l’emploi, est-ce encore tenable ?

Pierre Larrouturou : Le modèle que Nicolas Sarkozy avait en tête quand il est arrivé au pouvoir est celui des États-Unis. Durant sa campagne, il parlait très souvent du plein-emploi américain : un pays qui ne connaissait pas « le carcan » des 35 heures, où la croissance était plus forte… En réalité, avant même qu’éclate la crise des subprimes, les États-Unis étaient très loin du plein-emploi. En 2005, il y avait déjà tellement de petits boulots à 10 ou 15 heures par semaine que la durée réelle du travail (sans compter les chômeurs) était tombée à 33,7 heures.
Une étude de BNP Paribas montre que ce partage du travail qui ne dit pas son nom conduit à un partage des revenus de plus en plus inégalitaire. Sur les huit dernières années, seuls les 5 % d’Américains les plus riches ont vu leurs revenus réels augmenter. Les autres ont vu leur revenu stagner ou franchement diminuer. Un tel niveau d’inégalités aurait dû casser la croissance. C’est uniquement en poussant les classes moyennes et les pauvres à s’endetter qu’on a pu l’éviter. Jusqu’à la crise que nous subissons aujourd’hui.

Le bilan des deux premières années du quinquennat Sarkozy est aligné sur ce modèle américain : une partie des salariés font des heures sup. Mais, globalement, le chômage augmente de façon considérable, et ceux qui sont au chômage ont de moins en moins de chances de trouver un emploi à temps plein car l’essentiel des emplois créés en 2008 étaient à 12 ou 15 heures par semaine.

Selon vous, faut-il revenir aux 35 heures ?

Avec quelques amis, en 1993, nous avons lancé le débat sur la semaine de 4 jours : les 32 heures. Ce qui a permis de relancer le débat sur la RTT, qui était tabou à gauche depuis l’échec des 39 heures en 1982. Les 35 heures ne suffisent pas. J’ai toujours pensé que, vu la gravité de la crise, vu le nombre de chômeurs et de précaires qui attendent un vrai travail et un vrai salaire, on ne pouvait pas se contenter de demi-mesures. La deuxième loi sur les 35 heures (celle qui a concerné une grande majorité des salariés) permettait en réalité de rester à 38 heures de durée réelle, et elle donnait aux entreprises 70 milliards de francs (10,7 milliards d’euros) d’exonérations même si elles ne créaient aucun emploi.

Est-il possible d’envisager une RTT en dessous des 35 heures ?

Les 35 heures étaient déjà dans le projet du PS en 1981. 400 entreprises sont déjà passées à 4 jours. Une étude du ministère du Travail estime qu’un mouvement général vers la semaine de 4 jours (avec le financement que nous proposons) permettrait de créer 1,6 million d’emplois. Si l’on créait 1,6 million d’emplois, je suis certain que, dans beaucoup d’entreprises, la négociation sur les salaires se déroulerait dans un climat très différent d’aujourd’hui. Aujourd’hui, les salariés ont peur de perdre leur travail. De ce fait, en trente ans, la part des salaires dans le PIB a baissé de 10 ou 12 % dans tous les pays occidentaux.
Si on était capable d’agir avec force sur le temps de travail, si on créait plus d’un million de vrais emplois, la part des salaires remonterait. Voilà pourquoi le Medef et la droite libérale ne veulent pas entendre parler des 32 heures et font tout pour décrédibiliser l’idée même de la RTT.

Quelles sont les marges de manœuvre pour relancer la RTT ?

Vu les gains de productivité réalisés, le débat n’est pas : pour ou contre la RTT, mais plutôt : quelle RTT ? Une RTT organisée par le marché (avec un maximum de précarité et d’inégalités de revenus) ou une RTT organisée par la loi et la négociation avec un partage plus juste entre actionnaires et salariés ? Il faudra un jour qu’on m’explique pourquoi la droite est aussi claire dans sa stratégie anti-RTT et pourquoi, au contraire, la plupart des dirigeants de gauche sont aussi ambigus sur le sujet.

Depuis 1970, les gains de productivité se sont accrus, mais le temps de travail à temps plein n’a quasiment pas changé. En 2009, la durée réelle est toujours de 41 heures, des millions de précaires sont à mi-temps, sur la semaine ou sur l’année, et des millions de chômeurs font zéro heure. Voilà le « partage du travail » qu’on accepte si l’on n’ose plus parler d’une baisse collective et bien négociée de la durée du travail.

Je ne pense évidemment pas que la semaine de 4 jours soit la seule arme contre le chômage ni le seul levier pour rééquilibrer le partage salaires-bénéfices. Dans mon nouveau livre [^2], je fais dix propositions pour sortir de la crise, mais, dans toute la panoplie anticrise, les 32 heures sont l’arme la plus efficace. Le plus grand syndicat belge, la FGTB, fait à nouveau de la semaine de 4 jours l’une de ses revendications fortes. J’espère qu’en France aussi les syndicats, les mouvements de chômeurs et les partis de gauche vont l’imposer comme une des solutions essentielles pour sortir de la crise.

[^2]: Crise : non-assistance à peuples en danger, Desclée de Brouwer, à paraître en avril 2009.

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