La promesse d’Obama

Denis Sieffert  • 24 septembre 2009 abonné·es

À Washington, pour sauver sa réforme du système de santé. À New York, pour sauver la planète et, accessoirement, la paix au Proche-Orient. À Pittsburgh, pour sauver le capitalisme.
Barack Obama est sur tous les fronts ! Hélas, de tous ces combats, c’est le dernier qui paraît le mieux engagé. L’issue des autres, ceux qui ont notre sympathie, est plus qu’incertaine. Ce calendrier chargé est l’occasion pour nous de rappeler une vérité d’évidence. Certes, l’élection de Barack Obama fut un événement mondial – plus que cela : un fait de civilisation. Certes, il a su prononcer quelques discours d’anthologie, dont celui du Caire, début juin. Certes, les mots, en politique, valent parfois autant que les actes. Ceux-là avaient une force exceptionnelle parce qu’ils marquaient une rupture avec la sordide idéologie de racisme et de haine qui inspira huit années durant son prédécesseur. Mais Barack Obama est président des États-Unis, et sa fonction l’oblige. À Pittsburgh, où il accueillera le G20, il ne plaidera donc pas pour l’interdiction des fonds spéculatifs, et pas davantage pour la suppression des stock-options ou des bonus. S’il lui venait à l’esprit l’idée saugrenue de vouloir créer un pôle bancaire public [^2], son effigie frappée d’une faucille et d’un marteau envahirait aussitôt la rue américaine en colère. Il ne fera donc rien de tout ça. Au contraire, il poursuivra son plan de relance à coups de milliards de dollars de fonds publics. Les confrères qui pensent (et qui écrivent) que le sommet du G20 veut « changer le capitalisme » devraient donc se calmer [^3].

Même la taxe Tobin sur les transactions financières, qui n’en finit pas de recevoir l’hommage du vice financier à la vertu altermondialiste («  Une idée qui mérite réflexion » , a commenté Gordon Brown), n’est pas à l’ordre du jour, comme l’a rappelé Christine Lagarde. Et ne nous laissons pas abuser par les rodomontades de Nicolas Sarkozy, par ses « exigences » et ses « menaces » . Avant même le rendez-vous de Pittsburgh, il a déjà réussi ses effets d’annonce. Il pourra continuer d’appeler « malus » un bonus payé à nos traders en plusieurs fois, et disposition anticapitaliste le paiement différé de cette prime à la spéculation. Il ne se passera donc rien à Pittsburgh. Peut-il se passer quelque chose à New York ? Sinon au cours de l’assemblée générale de l’ONU, du moins en marge, dans les salons luxueux du Waldorf Astoria, où Obama devait réunir mardi Benyamin Nétanyahou et Mahmoud Abbas ? À cet instant et en ce lieu, pas grand-chose sans doute. Mais le dossier est grand ouvert. Et c’est à propos du conflit israélo-palestinien que Barack Obama a fait au monde sa plus belle promesse, osant notamment mettre au cœur du débat la question de la colonisation. Mais, depuis quelques jours, les augures sont mauvais. On ne voit toujours pas poindre à l’horizon le fameux document que doit préparer l’émissaire George Mitchell, comme base d’un nouveau plan de paix. Plus grave encore : la diplomatie américaine a donné un signe inquiétant, en fin de semaine dernière, en jugeant avec sévérité le rapport de la commission Goldstone sur l’offensive israélienne de décembre et janvier derniers contre Gaza. Sans plus de précisions, le porte-parole du Département d’État, Ian Kelly, a même fait part de la « préoccupation » de son pays devant certaines « recommandations » du rapport. On imagine que les officiels américains tremblent à l’idée qu’Israël pourrait être déféré devant le procureur de la Cour pénale internationale.

L’administration Bush n’aurait pas réagi autrement. Mais, avant cela, il est vrai que le rapport Goldstone remet profondément en cause la doxa officielle. Il souligne, par exemple, que ce n’est pas le Hamas qui a rompu la trêve, et que les engagements israéliens de desserrer le blocus de Gaza n’ont jamais été tenus. Quant aux fameux « boucliers humains » dont le Hamas aurait usé, et qui expliqueraient le nombre de victimes civiles, le rapport est formel : ce ne sont pas les Palestiniens qui y ont eu recours mais l’armée israélienne. C’est tout un discours qui s’effondre. Mais la doxa
– ou, si l’on préfère, « l’opinion publique », celle que forgent les médias – a la vie dure. Si le rapport a semblé « déséquilibré » aux Américains, il est au contraire apparu superbement symétrique à nos médias hexagonaux. Heure après heure, flash après flash, nous avons entendu répéter que des crimes de guerre avaient été commis «  de part et d’autre ».

C’est évidemment jouer grossièrement sur les mots. Nous savons que, d’un point de vue strictement juridique, on peut parler de « crime de guerre » dès que des populations civiles sont visées. Mais une roquette artisanale projetée par un Palestinien dans une rue déserte de Sdérot est-elle égale à des tonnes de bombes déversées par l’aviation israélienne au cœur de Gaza ? Fort heureusement, le rapport Goldstone ne s’en tient pas à cette fausse symétrie. Ses conclusions sont « déséquilibrées », comme l’étaient les forces en présence à Gaza. Comme l’est la réalité de ce conflit. Et il faudra que Barack Obama prennent des dispositions « déséquilibrées », c’est-à-dire qu’il pèse sur la puissance qui colonise et qui occupe ; et non qu’il exige les sacrifices des deux parties. Il en va de sa crédibilité internationale.

[^2]: Voir les dix propositions d’Attac pour « désarmer le capitalisme » sur

[^3]: C’est le titre du JDD du 20 septembre, heureusement suivi de ce commentaire de Christine Lagarde : « Cela va être dur. »

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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