Les retraites ne sont pas une marchandise

Jean-Marie Harribey  • 12 novembre 2009 abonné·es

Le gouvernement français projette de rouvrir au début de l’année 2010 le dossier des retraites. La faillite des contre-réformes Balladur-1993, Fillon-2003 et Fillon-bis-2007, prévisible, est aujourd’hui avérée. Elles étaient toutes fondées sur l’augmentation de la durée de cotisations sans qu’aucun emploi ne soit créé et alors que les départs en retraite anticipée sont l’un des moyens de dégraissage pratiqués par les entreprises. La rupture de l’évolution du niveau des pensions par rapport aux salaires, et donc par rapport à la productivité du travail, complétait le dispositif néolibéral et se voulait une incitation à recourir individuellement aux fonds de pension. La crise financière n’étant pas encore survenue, le mirage de la capitalisation était total.

Un nouveau coup se prépare qui risque cette fois-ci de tuer le régime de retraite par répartition. D’une part, la pression monte du côté du Medef pour que « saute enfin le tabou de l’âge de la retraite à 60 ans ». D’autre part, le Conseil d’orientation des retraites (COR) prépare un rapport au gouvernement dont les éléments commencent à être connus. Il s’agirait de franchir un pas supplémentaire dans le démantèlement du système de retraites collectif par la méthode douce ou la méthode forte.
La première consisterait à faire fonctionner le système par points. Déjà en vigueur dans les régimes complémentaires du privé (Arcco et Agirc), le principe est d’accumuler tout au long de la vie active des points dont il suffit de fixer la valeur. Est ainsi introduite une certaine correspondance entre la contribution personnelle du salarié pendant sa vie active et ce qu’il percevra ensuite en tant que retraité. Le taux de remplacement n’est plus garanti et l’ajustement se fait par la baisse de la valeur du point. Un rapprochement est opéré avec la capitalisation puisque les salariés sont dans la situation d’acheter des points comme s’ils achetaient des actifs financiers. Toutefois, une ressemblance existe entre un système par points et par annuités car ni l’un ni l’autre ne dépendent de l’âge de départ à la retraite, mais de la durée de cotisation.

La méthode forte introduirait un système par comptes individuels « notionnels » – c’est-à-dire virtuels car il n’y a pas d’achat de titres – alimentés chaque année d’un intérêt variable selon l’évolution de l’économie et de la démographie. On introduit ainsi le principe de la neutralité actuarielle  : l’âge de départ à la retraite doit être neutre en termes de sommes perçues pendant tout le temps de retraite. Que je parte à la retraite à 60 ans, à 65 ans ou plus, la somme globale que je recevrai jusqu’à ma mort sera égale, mais, si je pars tôt, elle sera répartie sur une durée plus longue et pour un montant mensuel plus faible, compte tenu de mon espérance de vie à cet âge.
Ce principe est pervers malgré l’apparence de justice tenant à la prise en compte de l’espérance de vie. En effet, les femmes, qui ont une espérance de vie un peu plus longue que les hommes mais qui connaissent des carrières souvent discontinues et précaires, auront des pensions encore plus faibles qu’aujourd’hui. D’autre part, en faisant de l’âge de départ à la retraite le pivot principal du montant de la pension, on obligera les travailleurs effectuant des travaux pénibles et peu payés à travailler encore plus longtemps, pratiquement jusqu’à ce que mort s’ensuive. Travailler plus pour mourir plus tôt.

Ce projet veut faire du départ à la retraite une question de choix purement individuel, totalement abstrait des normes sociales du moment et du résultat des combats collectifs passés. C’est exprimé de manière crue dans des études sollicitées par le COR. On y lit qu’il faut rapprocher le plus possible les sommes perçues pendant la retraite et les cotisations personnelles versées pendant le temps d’activité. C’en est donc fini de la solidarité entre les générations et de celle, même si elle faible, entre les groupes sociaux. Le célèbre « I want my money back » de Mme Thatcher à propos des subventions agricoles européennes est désormais la référence explicite des pistes qu’explore le COR. Comme le taux de cotisation n’augmenterait plus, il est postulé que, au mieux, la masse des retraites augmentera au rythme de la masse salariale, ce qui équivaut à ne considérer le problème de la répartition des revenus qu’au sein de la masse salariale, excluant donc tout appel à contribution supplémentaire des profits.

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