Hervé Bompard, centre de détention de Varennes-le-Grand

Politis  • 7 janvier 2010 abonné·es

Avec la Loi de finances, toutes les décisions sur le budget de l’État ont leurs répercussions en prison. À chaque fois qu’on tape sur un organisme, on tape forcément sur la prison. Ce n’est pas compliqué : tout ce qui diminue dehors diminue en prison. Les processus de paupérisation sont les mêmes. Il n’y a aucune raison que ce soit différent. L’accès aux soins est aussi compliqué et laborieux qu’à l’extérieur. Avec des déserts médicaux. À cela près qu’en prison on observe beaucoup de “bobologie”, une médecine psychosomatique. Parce que la souffrance morale se transforme en souffrance physique, avec des maux de tête, des fièvres, des douleurs articulaires.

Face à cela, à côté de deux ou trois Rambo abrutis, l’immense majorité des surveillants développe une patience inimaginable. Une patience hors norme devant une violence verbale et physique qui a considérablement augmenté dans les dix dernières années, comme dans la société. Cela dit, il y a bien moins d’agressions en prison que dans une cité. L’administration pénitentiaire n’est pas connue pour embaucher tous les pervers qui ont envie de se faire du détenu.

Les surveillants sont à la fois dans la bienveillance et la fermeté. Et font donc ce qu’ils peuvent pour réparer les bobos. Mais si, à l’extérieur, on a besoin d’un document quelconque, ça prend cinq minutes. En prison, ça prend dix jours. Il y a bien sûr de plus en plus de monde incarcéré, mais le problème est qu’il y a surtout de moins en moins de personnel pour s’en occuper, qu’il s’agisse des surveillants ou des administratifs, qui font leur travail dans des conditions épouvantables. Globalement, la surpopulation carcérale, ça ne fait pas gueuler les cellules. Parce qu’il existe une solidarité, parce que certains demandent à être ensemble.
Réellement, le problème ne réside pas dans le système pénitentiaire mais dans le système judiciaire. Tout se passe bien quand le parquet et le juge s’entendent sur la même ligne politique. Là où ça ne va pas, c’est quand le parquet applique une politique répressive, impose des peines qui vont jusqu’au bout. Ce qui pousse au suicide. C’est la pression judiciaire qui est trop forte, et non les conditions matérielles. C’est l’acharnement d’un procureur, parfois, qui fait que le soir, seul en cellule, on a envie de mettre fin à ses jours, d’avoir envie de dépiauter un rasoir.

Il existe une dichotomie entre les juges et le parquet. Les juges d’application des peines et l’administration pénitentiaire essayent de faire leur métier en réinsérant les gens. Le parquet tire dans l’autre sens. Il s’oppose systématiquement aux juges du siège, au pénitentiaire, qui comprend dans sa lettre de mission la réinsertion ; il s’y oppose avec des armes lourdes, comme l’usage de ­l’article 712.14 sur les modalités de l’aménagement des peines, instauré par la loi Perben. Dans ces circonstances, le détenu est devenu un faire-valoir dont on se moque dans une lutte de pouvoirs.

Quand un parquet multiplie appel sur appel face à un juge plus ou moins jeune, celui-ci finit par baisser les bras parce que, s’il y a trop d’appels du parquet dans son dossier de carrière, on lui reprochera d’être laxiste ou rebelle. In fine , c’est le parquet qui décide, et non plus le juge d’application des peines. Ce n’est pas l’institution qui frappe dur, c’est le gouvernement sécu-répressif, les parlementaires à chaussettes à clous, la populace “Maréchal nous voilà”. Ce n’est pas l’administration pénitentiaire qui incarcère, ce n’est pas elle qui libère. Mais les magistrats, les procureurs, une joyeuse bande d’humanistes et de progressistes.

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Libres paroles de détenus
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