Le capitalisme est-il sénile ?

Pascal Franchet  • 1 juillet 2010 abonné·es

Cette question que nous posons en titre est légitime quand on examine de près les « solutions » préconisées pour sortir de la crise. Le néolibéralisme, depuis trente ans, a privilégié la spéculation financière contre l’économie réelle. Les dégâts sont considérables pour l’outil et l’emploi industriels. Des millions d’emplois ont été détruits (pas délocalisés, détruits !), et l’appareil productif est aujourd’hui dans l’incapacité de répondre aux exigences de profitabilité du capital. Les plans d’austérité ne pourront que fermer les débouchés consuméristes avec l’appauvrissement des populations (hausse des taxes, baisse des salaires et des retraites, démolition de la sphère publique, privatisations, etc.).
Relancer (c’est déjà reparti avec l’argent public des plans de sauvetage) la démence spéculative est la garantie absolue de la construction de nouvelles bulles qui provoqueront des crises à répétition et qui risquent fort de plonger le monde dans un gouffre sans précédent. Selon la Banque des règlements internationaux, l’encours notionnel des Credit Default Swaps (CDS, produits dérivés de crédit) représente environ 60 000 milliards de dollars (plus que le PIB mondial), et, selon la Banque centrale européenne (BCE), les ABS (autre type de dérivés toxiques) détenus par les 20 plus grandes banques européennes se chiffrent à environ 800 milliards d’euros. Ils arrivent à échéance pour refinancement entre mai 2010 et fin 2012. Dans un discours prononcé à Londres le 16 juin devant l’association des marchés financiers, M. González-Páramo, membre du conseil exécutif de la BCE, leur a tout simplement conseillé de « retitriser » . Chacun a le souvenir de la titrisation calamiteuse des subprimes à l’origine de la crise financière. Foncer dans le mur semble donc être la solution adoptée pour sortir de l’impasse.

Le plan Union européenne-Fonds monétaire international du 10 mai sera employé, mais pour sauver les banques, pas les États en difficulté. Les 750 milliards d’euros annoncés par ce plan n’y suffiront pas. Il faudra encore davantage saigner les pauvres ! Les gouvernements européens, néolibéraux de droite comme de gauche, dociles, accompagnent ces délires irresponsables avec des plans d’austérité sans précédent au nom de dettes publiques jugées « insoutenables ».
Pourtant, à examiner les causes de l’envolée des dettes publiques depuis les années 1980 dans les pays de l’OCDE, on trouve deux  sources principales aux déficits budgétaires à l’origine des recours massifs à l’emprunt : une fiscalité très favorable pour les ménages aisés et les grandes entreprises (baisse des taux de l’impôt sur le revenu, cadeaux fiscaux et sociaux à répétition et baisse de l’impôt sur les sociétés) ; un effet « boule de neige » provoqué par des taux d’intérêts des titres de la dette supérieurs à la croissance des ressources des États (on emprunte pour payer les intérêts) – soit environ un tiers de l’encours de la dette publique française. Les plans de sauvetage des banques ont aggravé les déficits.

Alors quelles réponses ? C’est du coté des peuples qu’il faut les chercher. Partout en Europe ont lieu ou auront lieu des mobilisations contre les plans d’austérité ou la casse des régimes de retraites. Et si ces manifestations nationales devenaient transfrontalières ? Le capital ne connaît pas les frontières, lui. Et si ces manifestations revendiquaient ensemble, avec le retrait des plans d’austérité, le moratoire des dettes publiques ? Ce moratoire permettrait d’exercer un audit citoyen de ces dettes pour décider si les emprunts ont été contractés pour l’intérêt commun, et sinon, exiger leur annulation. Le CADTM-Europe a adopté cette proposition fin mai. Il la portera aux débats du Forum social européen d’Istanbul, qui s’achèvera le 4 juillet. Ce ne serait sans doute pas suffisant, mettre fin à la spéculation serait aussi nécessaire, mais un grand pas serait franchi pour construire une Europe des peuples, enfin solidaire, avec un budget commun, une politique fiscale commune et des droits sociaux identiques en profitant du meilleur de chacun. Alors on pourrait commencer à guérir le capitalisme de sa sénilité, en se débarrassant de lui…

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