L’autre sale coup de la réforme

Le projet adopté le 15 septembre à l’Assemblée nationale va favoriser le développement
du système par capitalisation. Et dynamiter l’actuel principe de répartition.

Thierry Brun  • 23 septembre 2010
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L’autre sale coup de la réforme
© PHOTO : MEDINA/AFP

Peu de citoyens en seront informés : les dernières pages du projet de réforme des retraites adopté le 15 septembre à l’Assemblée nationale contiennent un « titre V » entièrement consacré à la retraite par capitalisation [[Dans un système de retraite « par répartition », on prélève des cotisations sociales qui sont immédiatement reversées aux retraités.
Dans un système « par capitalisation », l’épargne individuelle est placée dans des institutions financières (fonds de pension, compagnies d’assurances…)]]. En France, les fonds de pension ont pris le nom d’« épargne retraite », sans doute pour rassurer les salariés.). Certes, ce n’est pas le cœur de la réforme, mais dans cette partie du projet de loi nommée « Mesures relatives à l’épargne retraite », l’article 32, de cinq pages, va profondément modifier la réglementation du système de capitalisation, selon les spécialistes de l’épargne retraite. Pour les assureurs et les banques, un grand pas a été franchi, mais, tout en se frottant les mains, ils restent prudents : la réforme doit passer devant le Sénat le 5 octobre pour être définitivement adoptée. Et la majorité sarkozyste devra résister au fort mouvement social qui la combat.

Bien qu’il répète à l’envi que sa réforme vise à « sauver le système par répartition » , le gouvernement n’a pas tourné la page de la capitalisation. Au contraire, celle-ci va sérieusement entamer l’actuel système. Le projet de loi va notamment renforcer l’épargne retraite créée par la réforme Fillon de 2003. Il répond aussi à une demande du Medef, qui, en mai, avait rencontré le ministre du Travail, Éric Woerth. Laurence Parisot, présidente du Medef, avait alors réclamé « un nouveau dispositif très incitatif, voire obligatoire, de système par capitalisation » . Avant sa rencontre avec le ministre, elle avait vanté les « vertus » de la retraite par capitalisation, qui « crée des richesses et n’en ponctionne pas » , et estimé que, « sur le long terme, l’évolution des marchés est toujours gagnante ».

Le vœu de celle qui est aussi administratrice de la BNP Paribas, une des banques très favorables au système par capitalisation, a été exaucé par les députés UMP proches des banques et des assureurs. Les amendements déposés par Xavier Bertrand, Arnaud Robinet et, surtout, par le très libéral Yannick Paternotte, secrétaire général des réformateurs, ont servi de base au texte adopté par l’Assemblée nationale. Yannick Paternotte a présenté 15 amendements relatifs à l’épargne retraite, et en a cosigné pas moins de 90 autres avec ses collègues. En fervent promoteur du « second pilier de la capitalisation » , le député a réussi son coup en obtenant, en juillet, le feu vert de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale.
La logique du texte adopté est claire : « Nous voulons inscrire l’épargne retraite comme un appui [à la retraite par répartition] et non comme un tabou » , a plaidé Arnaud Robinet. Ainsi, le projet de réforme prévoit que la moitié des sommes perçues par un salarié au titre de la participation aux résultats de l’entreprise sera, sauf avis contraire dudit salarié, obligatoirement versée sur le plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco). Les députés UMP ont étendu cette mesure à d’autres formes de capitalisation qui bénéficient d’avantages fiscaux : le plan d’épargne retraite d’entreprise (Pere) et le plan d’épargne retraite populaire (Perp). Enfin, pour renforcer l’attractivité de la retraite par capitalisation, le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, est coauteur d’une mesure qui permet une sortie en capital, certes limitée à 20 % de l’épargne, lors du départ en retraite.

Xavier Paternotte n’hésite pas à reprendre à son compte les arguments du Medef pour expliquer ce volet de la réforme des retraites : « Relancer l’épargne retraite constitue une urgence sociale et un gage de compétitivité du tissu économique, favorable à l’emploi de demain. »
C’est oublier le caractère inégalitaire et la logique de ces fonds d’épargne, qui cherchent à maximiser les rendements et prennent des risques sur les marchés financiers. La crise a pourtant infligé un cinglant démenti à ceux qui juraient que le rendement du système par capitalisation était supérieur à celui du système par répartition ! Souvent opaques, les fonds d’épargne retraite comme Préfon (fonctionnaires) et Corem (ex-Cref, complément de retraite des enseignants) ont subi des pertes de recettes pendant la crise financière. Préfon avait été obligé de publier un communiqué en janvier 2009 pour rassurer la population sur sa situation financière, fragilisée par la crise.

« Dans les pays dédiés à la capitalisation, ce sont des déficits qu’on affiche partout » , notent Attac et la Fondation Copernic [^2], qui rappellent que les fonds de retraite des pays de l’OCDE « ont perdu près d’un quart de leur valeur avec la chute des cours boursiers, le record revenant à l’Irlande, dont la valeur des fonds de pension a dégringolé de 38 % en 2008. Dans la crise financière, les régimes en répartition ont beaucoup mieux résisté que les régimes en capitalisation, qui subissent de plein fouet les conséquences de la volatilité des marchés financiers » . À cela s’ajoute le fait que la capitalisation individualise le financement de la retraite. Ainsi, avec ce système, seuls ceux qui en ont les moyens pourront se payer une retraite, les autres basculeront dans la précarité.
On aurait pu croire que deux déconfitures boursières en quelques années (celle de 2001, liée au krach de la nouvelle économie, et la crise de 2007, dite des subprimes) auraient calmé le Medef et les libéraux de la majorité UMP. Il n’en est rien. La droite libérale a invariablement suivi les recommandations du Medef. Il n’est pas anodin de remarquer que le recul de la retraite par répartition depuis les premières grandes réformes, qui ont commencé dans les années 1990, s’est accompagné de la mise en place progressive des fonds de pension « à la française », qui constituent un enjeu de taille pour les compagnies d’assurance et le capital financier. Laisser un champ de plusieurs centaines de milliards hors des marchés leur est insupportable.

[^2]: Lire Retraites, l’heure de vérité, Attac-Fondation Copernic, éditions Syllepse, 2010.

Temps de lecture : 5 minutes
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