La jeunesse en quête d’avenir

La crainte d’un futur sombre et un ras-le-bol vis-à-vis de la politique du gouvernement ont poussé lycéens et étudiants à entrer dans la mobilisation.

Pierre Duquesne  • 21 octobre 2010 abonné·es

Constance est plus habituée aux harmonies de son instrument de musique, la harpe, qu’aux tonitruants pétards lancés par les cheminots et les postiers. Le 13 octobre, cette étudiante en lettres de l’université Paris-III figure pourtant dans cet impétueux rassemblement devant le Sénat pour demander le retrait de la réforme des retraites. La jonction entre la jeunesse et les salariés s’est bel et bien opérée, comme lors des grandes démonstrations des 12, 16 et 19 octobre. À Saint-Nazaire, des centaines de lycéens se sont rassemblés devant le chantier naval en compagnie de salariés de STX et d’Airbus. Le 14, à Toulouse, les lycéens défilaient avec les salariés en dehors de tout appel à manifestation nationale. Le lendemain, un comité a été créé à Saint-Denis par une assemblée générale de l’université Paris-VIII mêlant syndicats de salariés et d’étudiants.

Si l’arrivée des jeunes dans les cortèges a donné un second souffle au ­mouvement social, Jean-François, employé Biatoss (bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service et de santé) de l’université Paris-VIII, notait, en fin de semaine dernière, qu’on était encore loin des grands mouvements étudiants. À Nanterre, qui n’est pas la fac la moins effervescente, Caroline, militante à l’Unef et membre du NPA, soulignait l’attentisme de certains étudiants. Thibault est l’un des rares de sa promotion de l’IUFM de Paris à défiler. « Tout le monde ne se sent pas encore concerné, et beaucoup estiment qu’il y aura un changement en 2012 et que cette réforme va sauter. »

« Une mobilisation, ça se construit ! » Tel fut donc le message de la numéro 2 de l’Unef, Anna Mélin, devant la centaine d’étudiants mobilisés à « Tolbiac la Rouge » le jeudi 14. À Paris-VIII, 200 étudiants se réunissaient en assemblée générale dès la semaine de rentrée. Aux AG suivantes, ils étaient deux fois plus nombreux. Amaël, militant à SUD-Étudiant, s’en félicite : « Pour le contrat première embauche, cela avait pris des mois. La réforme avait été adoptée en août [2005], et ce n’est qu’en février [2006] qu’ont eu lieu les premières manifestations. » Depuis le mois de mai, en effet, les organisations progressistes de jeunesse font front, contrairement à ce qui s’était passé avec le mouvement contre la loi d’autonomie des universités. Mardi, Jean-Baptiste Prévost, président de l’Unef, se réjouissait d’une montée de la mobilisation, avec « beaucoup d’étudiants en AG » .

L’amplification du contingent de jeunes dans la mobilisation est surtout, jusque-là, le fait de lycéens. Selon l’Union nationale lycéenne (UNL), lundi, le mouvement se maintenait dans quelque 550 lycées paralysés. Le lycée Voltaire, à Paris, est systématiquement bloqué. À chaque fois, c’est le même rituel. Peu avant 8 heures, les lycéens arrivent au compte-gouttes, traînant chacun un conteneur à poubelles de la mairie de Paris, immédiatement aligné devant l’entrée. Mais, à l’issue de chaque blocage, Clémence, élève de seconde à la pointe du mouvement, peine à donner des perspectives. Son organisation, l’UNL, n’a appelé qu’à des actions lors des journées organisées par l’Intersyndicale nationale de salariés. Aucune coordination nationale ou parisienne de lycées n’a été créée.

Clémence et ses camarades sont abandonnés à leur spontanéité. Un sit-in sur la chaussée devant le lycée, ou des déplacements au gré des SMS ou des appels Facebook. Chaque jour, des manifestations sauvages surgissent dans la capitale. En province, le sport national lycéen devient l’envahissement des ronds-points. Devant la contagion de débrayages dans les lycées, une action commune est lancée avec l’Unef devant le siège du Medef à Paris. Décidée au dernier moment, elle ne rassemblera qu’un millier de jeunes, concurrencée par d’autres rendez-vous.

À Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), les établissements se sont très vite mis en grève. « Quand on ira travailler, le marché de l’emploi sera blindé si les gens travaillent plus longtemps » , explique Aïcha, en première Science et technologie de gestion au lycée Paul-Éluard. Si elle défile pour la deuxième fois ce vendredi, c’est aussi par solidarité. « Ma daronne [ma mère, NDLR], je la vois pas travailler après 60 ans. Déjà, ça me fait mal de la voir se crever au travail, se lever tôt tous les matins pour aller travailler comme agent de service. Alors 67… » Samuel Crecel, lui, ne craint pas le chômage avec son bac pro menuiserie-aluminium. N’empêche, il ne « se laissera pas endormir » . « Ils croient qu’à 65 ans je pourrai encore fixer des fenêtres ? »
« Retraites dans la rue, parce qu’on a les flics au cul ! » , hurlaient des lycéens de Montreuil après la blessure à l’œil d’un élève du lycée Condorcet par un tir illégal de Flash-Ball.

Depuis 1968, le pavé a été recouvert d’asphalte, et les Flash-Ball ont succédé aux voltigeurs, mais le zèle policier et le discours autoritaire du gouvernement sur la jeunesse ont peu changé. Entre une déclaration de Nadine Morano dénonçant « l’irresponsabilité des parents de manifestants » et celle de Luc Chatel estimant que « manifester est dangereux » , la répression s’est abattue massivement sur les cortèges. À Saint-Denis, des élèves ont été gazés devant l’entrée de leur lycée, situé loin du centre-ville, où sévissaient quelques casseurs. Les violences policières ont dépassé le département de Seine-Saint-Denis et son préfet policier. Depuis lundi, les affrontements se sont multipliés dans plusieurs villes, dont Lyon et Nanterre. À Besançon comme à Caen, des professeurs ont débrayé pour protester contre le comportement de la police envers leurs élèves.

Hors du 9-3, un ras-le-bol général vis-à-vis de Nicolas Sarkozy mobilise aussi. Emmy Cataïfé, étudiante en classe préparatoire, participe aux manifs « pour les retraites et pour le reste. La politique sécuritaire, le traitement réservé aux Roms ou la casse du service public, c’est toute une politique qui me choque de plus en plus » . « 41,5 annuités quand le premier CDI moyen pour les jeunes est à 27 ans, cela fait presque 69 ans ! La cible principale de cette réforme, c’est bien la jeunesse ! » , estime Grégoire, étudiant en histoire. « Si les dirigeants arrivent à faire passer cette réforme , prévient Chloé, de SUD-Étudiant, ils pourront supprimer tous les acquis sociaux. »  Sacha Feieraben, syndiqué à l’Unef à Villetaneuse, ne dit pas autre chose : « Notre génération a droit à une double peine : on nous offre le chômage et la casse des droits sociaux. »

Derrière un ras-le-bol général et l’envie d’en découdre, le principal ressort de la mobilisation est celui du droit à l’avenir de la jeunesse. « Avec la question des retraites, on fait très vite un rétroplanning de notre vie , explique Caroline, militante de l’Unef et du NPA à Nanterre. D’abord les stages, puis les CDD. Et si, par chance, on échappe au chômage, on aura un salaire faible et une retraite pire encore… Aujourd’hui, mes parents m’aident à hauteur de 500 euros par mois. Mais qui dit que je ne vais pas, avec cette réforme, devoir les aider ? »

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Crise sociale : à force de mépris
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