Les pétroliers bouchent le port de Marseille

La pétrochimie est aux avant-postes de la mobilisation. Reportage à Marseille, place forte du mouvement de grève, où les travailleurs des raffineries se battent autant pour leurs emplois que pour les retraites.

Sébastien Boistel  • 21 octobre 2010 abonné·es

Ces jours-ci, ce n’est pas une sardine qui bouche le port de Marseille mais plutôt une noria de pétroliers, gaziers et autres chimiquiers. Loin de faire
– selon l’expression consacrée – des « ronds dans l’eau », ils font plutôt preuve d’une inertie quasi élyséenne. Si ballet il y a, il n’est pas nautique mais routier, les automobilistes faisant des tours et détours pour trouver une station-service qui fonctionne. Ironie du sort : le départ de la manifestation, samedi, à Marseille était à un jet de pierre d’une pompe à sec. Et, détail emblématique, ce sont les salariés de la pétrochimie et les agents du port qui étaient en tête de cortège. Histoire de rappeler qu’ils sont aux avant-postes de la mobilisation. Et que la cité phocéenne a donné le signal de départ et le ton à un mouvement sans précédent.

Aujourd’hui, la totalité des raffineries est à l’arrêt et toute la pétrochimie tourne au ralenti. Et si, d’un côté, le gouvernement assure qu’il n’y a pas de pénurie, de l’autre, il multiplie les coups de force : recours à la maréchaussée pour débloquer les dépôts, blanc-seing pour puiser dans les réserves, consignes aux avions de faire le plein à l’étranger… Dernièrement, réquisition de main-d’œuvre ou recours à l’encadrement pour ouvrir les vannes. Même Fillon, après Hortefeux, a cru devoir faire les gros yeux !

De quoi chauffer à blanc un secteur déjà bouillant. Le 4 octobre, les représentants CGT de la pétrochimie de l’étang de Berre annonçaient qu’ils entraient dans la danse et allaient ­prêter main-forte aux agents du port de Marseille qui, depuis le 27 septembre, bloquaient les terminaux pétroliers de Fos-Lavera. Et Jean-Robert Hoareau, délégué CGT à la raffinerie LyondellBasell, de vendre la mèche : « On n’est pas là pour soutenir le port mais pour s’en servir comme d’un tremplin. » En effet, comme l’explique Jean-Marie Michelucci, le représentant CGT régional de la pétrochimie, « notre mobilisation, c’est la convergence de plusieurs luttes. Avec, en guise de catalyseur, la question des retraites ».

Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la réforme portuaire qui sévit actuellement du côté de ce qui fut le port autonome. Si les agents bloquent les terminaux pétroliers de Fos-Lavera, c’est parce qu’ils refusent de voir une filiale privée gérer ces derniers. Or, poursuit Jean-Marie Michelucci, « en discutant avec nos camarades de ce qui se tramait du côté du port, on s’est rendu compte que ce qui se préparait pour la pétrochimie était un véritable Monopoly » . En ligne de mire ? « Plusieurs projets de dépôts pétroliers qui serviraient à stocker du produit fini, explique le représentant syndical. Ce qui signerait l’arrêt de mort d’une ou plusieurs raffineries. »

En avril, face au projet Oiltanking-Mediaco – 800 000 m3 de stockage, soit une capacité de 6 millions de tonnes par an de produit pétrolier raffiné –, Christian Estrosi avait fait mine non seulement de le découvrir mais aussi de s’en offusquer. Le ministre de l’Industrie avait alors déclaré : « Ce projet menace les emplois locaux [et] le raffinage garantit une part de notre indépendance énergétique. » C’est donc l’avenir non seulement d’un port mais aussi de tout un secteur qui est en jeu. Un secteur qui, en février, face à la menace de fermeture de la raffinerie des Flandres, s’était déjà mobilisé et avait pu se rendre compte de sa puissance de frappe.

C’est peu dire que la réforme des retraites est le carburant de ces mobilisations. Pour Daniel, militant CGT à LyondellBasell, « si cette réforme passe, on va se la prendre de plein fouet » . En effet, « nous sommes dans un secteur qui a réussi à arracher au patronat la possibilité de partir un peu plus tôt en retraite. Parce que la pénibilité, nous, on connaît. Une raffinerie, ça tourne 24 heures sur 24, 365 jours par an. On bosse la nuit, les week-ends. Sans parler des produits que l’on manipule et des maladies professionnelles… » Alors, quand on lui demande si le mouvement est parti pour durer, il affiche un large sourire : « Il faut plusieurs jours pour mettre à l’arrêt une raffinerie. Pour la re­mettre en route, c’est encore plus long. Je conseille donc vivement aux automobilistes de faire des réserves. D’autant qu’on va continuer à jouer au chat et à la souris avec la police… »

Début octobre, les représentants CGT de la pétrochimie avaient promis des « initiatives médiatiques et populaires » . Pas de doute : ils ont tenu parole. N’en déplaise à Jean-Claude Gaudin, qui a pu se consoler en voyant le président du conseil général, Jean-Noël Guérini, et le vice-président du conseil régional, Patrick Mennucci – tous deux membres du PS –, appeler les grévistes du port à… reprendre le travail. À Marseille, on n’a plus de pétrole, mais on a encore des lumières.

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Crise sociale : à force de mépris
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