Il faut souffrir pour prendre sa retraite

Les projets de décrets sur les possibilités de départ anticipé à la retraite ont été transmis aux syndicats. Selon Arnaud de Broca*, ils témoignent d’une volonté de restreindre le dispositif.

Thierry Brun  • 27 janvier 2011 abonné·es
Il faut souffrir pour prendre sa retraite
© * Secrétaire général de la Fnath, association des accidentés de la vie qui regroupe 200 000 adhérents. Photo : DANIAU / AFP

Politis : Quatre décrets sur les conditions de départ en retraite dans le cadre du dispositif pénibilité ont été transmis aux partenaires sociaux le 20 janvier. Que pensez-vous de la méthode ?

Arnaud de Broca : Les associations comme la Fnath, représentant les victimes du travail, et l’Andeva [victimes de l’amiante, NDLR] n’ont pas été sollicitées ni consultées. Pour le gouvernement, nous n’avons pas la légitimité pour intervenir sur les questions de santé au travail. Pourtant, beaucoup de nos adhérents vont être concernés par ce dispositif. Nous nous sommes procuré les décrets et nous avons pu les étudier. Les textes sont bouclés. On est dans une consultation fermée…

Quelles remarques faites-vous sur le contenu de ces décrets ?

Nous contestons toujours la philosophie des textes. L’ouverture automatique des droits à la retraite à 60 ans ne concerne que les salariés soufrant d’un taux d’incapacité de 20 % et plus, avec la possibilité de cumuler les taux d’incapacité, à condition que l’un de ces taux soit égal à 10 %.
On reste sur une incapacité médicalement constatée, qui exclut des milliers de personnes exposées à des conditions de travail réduisant leur espérance de vie mais n’entraînant pas d’incapacité à 60 ans. Des populations entières passeront au travers des mailles du filet. Nous avons la confirmation de ce que nous pouvions craindre : les décrets vont restreindre encore davantage un texte législatif qui limitait déjà fortement le nombre de bénéficiaires. Le gouvernement annonce qu’il y en aura ­30 000 de plus par an, mais on ne sait pas d’où il sort ce chiffre. Il en annonçait déjà 20 000 lors de la présentation du texte de loi. Sans doute avait-il déjà écrit les décrets… Dans ce cas, il aurait pu nous les soumettre plus tôt ! Mais vu l’état des statistiques et des connaissances dont on dispose sur l’exposition aux facteurs de pénibilité, le gouvernement est incapable de connaître le nombre de personnes exposées pendant dix, quinze, vingt ans à tel ou tel ­facteur de risque. C’est une estimation au doigt mouillé.

Il existe aussi un dispositif pour les personnes atteintes d’un taux d’incapacité situé entre 10 et 20 %. Y a-t-il des changements par rapport à la loi de réforme des retraites ?

Il y a des précisions « violentes » dans la restriction des droits. Il faut rappeler qu’à l’origine le gouvernement n’avait fixé qu’un taux d’incapacité de 20 % pour obtenir l’ouverture des droits à la retraite à 60 ans. La mobilisation contre la réforme des retraites l’a contraint à intégrer les personnes justifiant d’une incapacité entre 10 et 20 %. Mais on limite au maximum la possibilité d’entrer dans le dispositif. Par exemple, la durée minimale d’exposition aux facteurs de pénibilité est de dix-sept ans. C’est une durée extrêmement longue qui exclut énormément de personnes, alors qu’on sait qu’après dix ou quinze ans de travail dans des conditions pénibles certaines personnes auront une espérance de vie réduite. Cette durée minimale ­verrouille fortement le dispositif.

Les textes ont aussi inscrit d’autres étapes pour obtenir le droit de prendre sa retraite à 60 ans en cas d’incapacité, comme la mise en place de commissions pluridisciplinaires. Estimez-vous cette mesure cohérente ?

Il y a plusieurs niveaux. D’abord, le passage par un médecin chef qui déterminera si la lésion a des effets identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle. Ensuite, il faudra franchir l’étape de l’examen du dossier par une commission pluridisciplinaire territoriale. Cette commission exclut les organisations syndicales et les associations de victimes. Nous devrions pourtant y avoir toute notre place. Nous avons une connaissance et une expérience de la pénibilité du travail qui pourraient être intéressantes.
De plus, on sait très bien qu’il y aura des pratiques diverses selon les commissions territoriales. Notre expérience de ces commissions, notamment le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, nous fait dire que, pour des situations comparables, les décisions de deux commissions pourront être différentes. C’est d’autant plus grave qu’il n’y a pas de recours mentionné dans les décrets. Un article prévoit même que le silence de la commission pendant quatre mois vaudra rejet. On craint toujours ce genre de formule, car si la commission est surchargée de demandes pendant quatre mois, cela revient à dire qu’il y a rejet de la demande.
La grande avancée sociale de la réforme des retraites sur les questions de pénibilité se révèle donc très limitée.

* Secrétaire général de la Fnath, association des accidentés de la vie qui regroupe 200 000 adhérents.

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