Ping Machine a un cœur

Des trucs pareils, troisième album d’un jazz-band qui ne renonce jamais à l’émotion.

Lorraine Soliman  • 29 septembre 2011 abonné·es

«P remière chose, j’essaie de ne plus trop parler de big band », indique Fred Maurin lorsqu’on lui demande de qualifier Ping Machine. «   J’ai tendance à dire qu’on est un groupe de musiciens faisant de la musique. » Attention, il ne faudrait pas prendre cet avertissement pour un déni du genre. Au contraire, l’orchestre qu’il dirige depuis 2005 a un héritage jazzistique très assumé. Gil Evans, Bob Brookmeyer et Maria Schneider peuvent être fiers de leur descendance.

Si Fred Maurin évite de parler de big band, «   c’est pour s’épargner certaines confusions des partenaires institutionnels », complète-t-il, qui peuvent avoir une vision datée du genre. C’est que, depuis Ellington et Basie, les choses ont changé… Le big band est une forme libre, mouvante, émouvante. Fred Maurin et ses acolytes ont à cœur de le montrer.

Leur troisième album, Des trucs pareils, qui paraît ce mois-ci chez Neu Klang, marque une étape dans la quête d’ « identité sonore » de Ping Machine. Après Random Issues (2009) et Club 189 (2007), qui ont permis de dessiner les contours du projet puis de lui donner chair, l’orchestre se fond aujourd’hui dans sa véritable peau. On est loin du premier groupe constitué de jeunes talents fraîchement diplômés de l’Edim [^2]
. Ping Machine réunit désormais quatorze musiciens aux parcours variés, toujours d’excellence, dont le principe fédérateur semble être la soif insatiable de l’émotion musicale à travers la recherche sonore, quel que soit le risque pris vis-à-vis du public.

Citant Pierre Bourdieu et sa célèbre critique du goût, Maurin explique : «   Je ne suis pas dupe du fait que l’émotion générée en musique n’est jamais naturelle. Mais je pense que le son est aussi la partie la moins sémiotique de la musique, la moins liée au langage et la plus directement liée au ressenti. »

Mais si la question du ressenti est l’affaire de Ping Machine, les choses sont pourtant plus complexes, certainement pas cantonnées à une seule source de créativité. « Le jazz s’est toujours nourri de la musique contemporaine de son époque. On a le droit d’y intégrer des langages complètement étrangers et de les défendre. Pour jouer avec, au premier sens du terme. »

Le mélange des genres est donc une autre règle de l’orchestre. Si Stravinsky, Ligeti et Zappa font partie du panthéon des références, il ne faudrait pas oublier non plus une invitée récente des compositions de Maurin : la musique spectrale. Il s’agit de jouer avec les spectres harmoniques et inharmoniques des sons pour créer de nouveaux espaces « émotionnels ». Un travail qui se prolongera bientôt par certains traitements électroniques dont le pianiste Benjamin Moussay a le secret.

Une autre spécificité de Ping Machine repose sur la discrétion de son leader guitariste : «   J’en dis déjà tellement dans l’écriture que je préfère laisser la parole aux autres pour les solos. » Enfin, l’humour n’est pas la moindre des qualités du groupe, dont le nom fait allusion à une fameuse scène de The Meaning of Life des Monty Python. Car, au fond, « tout ça est un jeu ! »

[^2]: L’Edim est une école associative de musiques actuelles, à Cachan (94). www.edim.org

Musique
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