Orelsan : « Là où ça fait mal ! »

Deux ans après la polémique autour du clip « Sale Pute »,
le rappeur sort un album
plus mûr, sombre mais plein
de vigueur. Rencontre.

Ingrid Merckx  • 20 octobre 2011 abonné·es
Orelsan : « Là où ça fait mal ! »
© **Le Chant des sirènes,** Orelsan, 3e bureau. Photo : David Tomaszewski

Dans un café, non loin de la gare du Nord, Orelsan est en discussion avec un journaliste d’un magazine de jeux vidéo et mangas. Une de ses passions… D’où le suffixe japonisant «  San  » (« monsieur ») derrière le diminutif Orel (pour Aurélien Cotentin). Il se lève, jean, baskets, pull sombre aux coutures jaunes.

Pas frime, le regard sérieux et mélancolique, un accent qui traîne dans les graves, Orelsan, 29 ans, est prudent depuis la polémique « Sale Pute » qui l’a rendu célèbre en 2009. Lors de la sortie de son premier album, Perdu d’avance , refait surface le clip d’une chanson écrite bien avant, dans laquelle un type menace horriblement sa compagne. Il est notamment attaqué en justice par les Chiennes de garde pour « incitation à la violence » . Plusieurs concerts sont annulés. Maintenant, il pèse ses mots mais fait aussi preuve d’aplomb.

Dans la chanson « le Chant des sirènes » , dans l’album du même nom, vous dites : « Je suis le génie qui a écrit “Sale Pute” » . Vous vous présentez vraiment comme ça ?

Orelsan : C’est de la provoc’ ! Je ne vois aucun génie dans le fait d’avoir écrit cette chanson. Mais pendant longtemps j’ai été connu pour ça. Encore aujourd’hui, la polémique arrive dans les premiers sujets de conversation… Elle m’oblige à me justifier en permanence. Le plus pénible, c’est d’être mal interprété et de voir sortir dans les médias des propos qui ne correspondent pas à ce que j’ai dit.

Au début de l’affaire, j’étais un petit gars de Caen qui avait un peu de renommée avec un album plutôt bien accueilli. Tout d’un coup, ça a explosé : j’étais au journal de 20 heures avec une ancienne chanson mal interprétée. Mon premier réflexe a été de dire : « Je comprends que cette chanson ait pu heurter certaines personnes et j’en suis désolé. Mais c’est une fiction qui a été sortie de son contexte, et j’estime avoir le droit de faire une telle chanson. » Dans cette longue phrase, les journalistes ont puisé ce qu’ils voulaient : « Orelsan s’excuse » , « Orelsan enfonce le clou », « Les dérives d’un gamin sur Internet »

Que vous a appris cette polémique ?

Elle m’a ouvert les yeux. L’affaire sort, Valérie Létard, secrétaire d’État à la Solidarité, utilise mon cas pour faire passer une loi sur les vidéos de Youtube, et les jeunes de l’UMP dénoncent la chanson. Deux mois plus tard, Ségolène Royal demande que je ne vienne pas chanter aux Francofolies. Et là, l’UMP rédige une lettre disant : « Il a le droit d’écrire cette chanson, la gauche censure les artistes ! » C’était ridicule. Ensuite, il semblait admis que cette chanson était contre les femmes. J’y ai vu de la récupération, y compris de certaines féministes.

Quel rapport entretenez-vous avec la violence ?

Le clip « Sale Pute » ne contenait aucune image de violence physique. Le personnage est pathétique mais, ce qui est violent, c’est moins la chanson que les rapports entre les gens. J’essaie de traduire des émotions. Dans « Suicide social », la violence réside dans le regard ultranégatif que le personnage porte sur la vie. Ma génération a grandi en regardant des films et des séries qui font dans la surenchère. Pour nous, les insultes, même entre potes, n’ont pas le même degré de violence que pour les générations précédentes. L’expression « sale pute » peut nous paraître moins violente que le mot « divorcé » !

Enfin, le rap est une musique réaliste qui va chercher là où ça fait le plus mal. C’est aussi une façon de faire réagir. Il ne faut pas prendre mes textes au pied de la lettre. Aucune forme d’art, d’ailleurs ! Si j’ai un message à faire passer, c’est de ne pas tout prendre au premier degré. Mes textes contiennent des choses que je pense vraiment et d’autres que je n’ai pensées qu’une seconde.

N’utilisez-vous pas la fiction comme un bouclier ?

Dans mes chansons, je parle de moi, mais il y a toujours une mise en scène. L’ambiguïté est intéressante parce qu’elle donne de l’épaisseur à l’œuvre. Dans « le Chant des sirènes », je suis sur un petit nuage, grisé par la notoriété, et puis ça bascule dans la fiction sans que l’on sache précisément à quel moment.

Quand vous écrivez, vous dites-vous parfois « mauvaise idée ! » ?

Bien sûr ! Après, tout dépend de la tournure. Dans « la Petite Marchande de porte-clefs », je me mets dans la tête du père de la marchande, je ne me permettrais jamais de dire ces choses moi-même ! Et puis j’utilise beaucoup l’ironie. Je viens du « punchline », soit la construction de phrases chocs. Provoc’ et surenchère font partie de notre style d’écriture mais aussi de notre attitude dans la vie quotidienne. En outre, la première cible de mes paroles, c’est moi ! Dans « Suicide social », je parle des profs dépressifs, or je suis fils de profs… Quand je parle des jeunes de la classe moyenne, j’en suis !

Dans « Elle viendra quand même », vous évoquez une angoisse de mort…

Cette chanson me fait flipper. Mais, en l’écrivant, je me suis dit que j’étais bien content d’être en vie ! Avant, la mort me paraissait abstraite. J’ai vieilli, et puis je suis heureux maintenant.
J’essaie aussi de mettre à distance mon vieux réflexe dépressif. Il vient peut-être du fait que j’appartiens à une génération à qui on a donné à la maison un cadre, des principes, une vision du monde – l’école, l’État, la famille – devenus inopérants dehors…

Comment vous situez-vous dans le rap français ?

J’aime beaucoup ! Notamment Oxmo Puccino, Booba, Akhenaton et un million de groupes moins connus… J’aimerais qu’un jour on dise dans cette liste « y’a aussi Orelsan ». Ma musique est tellement inspirée par ce que je suis que ça reste de la musique de provincial blanc, classe moyenne. Je vais éviter de sampler de la soul, parce que je n’ai pas grandi avec ! Je me sentirai toujours plus proche de Michel Berger que de Curtis Mayfield…

Comment composez-vous ?

Je fais des dossiers fourre-tout sur mon ordinateur et je les nourris pendant des mois de textes et de musiques. Je valide avec les amis avec lesquels je travaille. J’utilise très peu de samples, tout est joué. Il y a des parties acoustiques, mais j’ajoute toujours une touche électronique, qui correspond mieux à mon univers. Perdu d’avance était un album de bricolage, fait à deux dans mon garage à Caen. Le Chant des sirènes est plus mélodieux, plus sophistiqué, et plus fantastique dans les atmosphères.

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