Pauvres et pollués

Risques industriels, pollutions, bruit… Les plus pauvres sont les plus exposés aux dégradations écologiques. Les politiques publiques n’en tiennent aucun compte.

Patrick Piro  • 6 octobre 2011 abonné·es

C’est une évidence spontanément perceptible : les milieux dégradés, qu’il s’agisse d’habitat ou de lieux de travail, comptent les plus fortes proportions de personnes à bas revenus. Inégalités environnementales et sociales ont tendance à se cumuler. Cette corrélation est cependant peu étudiée. Elle a émergé comme thème de recherche depuis une dizaine d’années, mais avec timidité, et sa portée qualitative et quantitative n’apparaît encore que partiellement, à l’occasion d’études sectorielles. Accès réduit à la nature, exposition forte aux risques industriels et aux toxiques, excès de contraintes liées aux lieux d’habitation (bruit, énergie), recrudescence d’affections sanitaires dues à la piètre qualité de l’air…

L’empoisonnement à l’amiante est l’une des affaires les plus emblématiques. On recense déjà 35 000 morts, et un rapport sénatorial de 2006 estimait que les maladies pulmonaires induites par l’inhalation de fibres d’amiante pourraient causer jusqu’à 100 000 décès supplémentaires d’ici à 2025. Pour l’essentiel en milieu professionnel et ouvrier : l’immense majorité des personnes concernées sont des travailleurs manuels – production d’amiante, bâtiment, construction navale… Alors que les industriels ont tout fait, pendant des ­décennies, pour retarder le bannissement de cette matière que l’on sait toxique depuis 1905, cet immense scandale a pu être qualifié « d’épidémie de classe ».

Le saturnisme, autre maladie d’une époque qu’on pourrait croire révolue, est également un marqueur presque exclusif des populations les plus défavorisées. Il s’agit d’une intoxication au plomb, métal qui provoque des affections neurologiques très graves.

Le saturnisme frappait initialement les ouvriers utilisant des peintures aux sels de plomb, dont la commercialisation est interdite depuis 1948. Cette affection se déclare aujourd’hui dans des logements insalubres au revêtement mural antédiluvien, qui s’effrite en écailles, et dont le goût sucré attire les jeunes enfants. En 2009, quelque 4 400 d’entre eux étaient atteints de saturnisme, selon l’Institut national de veille sanitaire. Ces cas se recensent essentiellement au sein de familles précaires d’origine africaine. « Une maladie sociale de l’immigration », selon la chercheuse Anne-Jeanne Naudé.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, l’Observatoire régional de la santé s’interroge sur les variations importantes des pathologies de la population à l’intérieur de la Région. En 2007, il s’intéresse à la carte d’implantation des sites industriels à risque ou polluants, et constate d’une part qu’ils sont concentrés (agglomération dunkerquoise, Douai, Valenciennes) mais aussi que l’indice de « défaveur sociale » (dit de Townsend) y est significativement élevé. L’absence de données fines sur les émissions polluantes ne permet pas de cerner le niveau exact d’exposition de ces populations. Une étude a cependant montré au Royaume-Uni que 82 % des 11 400 tonnes de substances cancérigènes dans l’air en 1992 étaient issues d’usines implantées dans 20 % de collectivités locales défavorisées.
France nature environnement met le projecteur sur une situation des plus incongrues. Dix ans après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse – environnée de foyers aux conditions modestes –, le renforcement des mesures de sécurité des populations à proximité des 647 sites classés « à haut risque » fait du surplace, pour cause de blocage sur le volet du financement (deux milliards d’euros estimés).

De surcroît, les entreprises négocient leur participation fortement à la baisse, et les plans de prévention des risques technologiques prévoient que 70 % du coût des travaux d’aménagement reposeraient sur les riverains exposés au risque industriel ! Qui, en grande majorité, sont des foyers populaires. L’Observatoire des zones urbaines sensibles (ZUS) montre que 42 % des communes concernées (c’est-à-dire accueillant au moins une ou deux ZUS) sont deux fois plus exposées à ce risque industriel.
L’observatoire s’est également penché sur une des plus importantes nuisances environnementales au quotidien : le bruit. Près de la moitié des ZUS – jusqu’à 69 % en Île-de-France – sont dans le périmètre d’un des nombreux « points noirs bruit » créés par les grandes infrastructures (routes, aéroports, etc.), qui génèrent aussi une forte pollution de l’air. Le même genre d’observation se reproduit avec les sites et les sols pollués (friches industrielles, sites radioactifs, décharges…).

La notion d’« inégalité environnementale » n’entre pas dans le champ des politiques publiques : pas de définition précise, de recensement de populations à risque, ni de budgets ou de guichets d’aide. Un rapport de l’Inspection générale de l’environnement déplorait en 2005 cette déshérence : « La non-prise en compte de la dimension environnementale joue un rôle important dans les processus de ségrégation spatiale » , et la réduction des inégalités écologiques « constitue un volet incontournable de la politique de lutte contre les inégalités urbaines et représente un élément de réussite de l’objectif de mixité sociale et de cohésion nationale » .

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L'écologie peut-elle être populaire ?
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