Vous avez dit « communauté » ?

Selon plusieurs études sociologiques, les Juifs de France aujourd’hui sont plutôt séfarades, mariés, cadres ou chefs d’entreprise, et pas trop pratiquants.

Dominique Vidal  • 13 octobre 2011 abonné·es

Plusieurs enquêtes sociologiques des années 2000 cernent la diversité des Juifs français. En 2002, Erik Cohen publie Heureux comme juifs en France  [^2]. L’année suivante, le Fonds social juif unifié (FSJU) analyse Les besoins sociaux de la communauté juive  [^3]. En 2009, Dominique Schnapper, Chantal Bordes-Benayoun et Freddy Raphaël publient la Condition juive en France. La tentation de l’entre-soi[^4]. De ces trois études ressortent quelques grandes tendances :

-Le nombre de personnes se définissant comme juives serait de 500 000 à 600 000, dont une majorité en Île-de-France. Si 28 % d’entre elles ont moins de 20 ans, la moitié dépasse 50 ans. Près de 60 % sont mariées ou vivent maritalement, dont 30 % avec un conjoint non juif, 40 % chez les moins de 30 ans.

-Les proportions d’ashkénazes (30 %) et de séfarades (70 %) ont basculé avec les indépendances – et notamment l’Algérie, dont le gros de la population juive a rejoint la métropole avec l’ensemble des pieds-noirs [^5].

-Plus homogène qu’autrefois, cette population comptait en 2002 moins de 2 % d’ouvriers (contre plus de 10 % en 1975), 25 % d’employés, 13 % d’artisans et de commerçants et près de 55 % de cadres supérieurs, membres des professions libérales ou intellectuelles et chefs d’entreprise. Mais 32 % des familles disposaient alors de revenus «  faibles  » et 56 % «  moyens  ».

À l’époque, 34 % des Juifs avaient arrêté leurs études avant le baccalauréat, 18 % possédaient ce dernier pour seul diplôme, 49 % se situant à bac + 2 et au-delà. Pour le FSJU, « toutes les problématiques que traverse la communauté nationale se posent à la communauté juive. […] Le désengagement de l’État et des services publics, la réduction des déficits ont aggravé la précarisation galopante et rendu les conditions de vie plus difficiles » , précarisation à laquelle s’ajoute une « crise des repères symboliques » .

-En matière religieuse, 10 % des Juifs se déclarent « très pratiquants » , 44 % « pratiquants ou assez pratiquants » et 45 % « peu ou pas pratiquants » – des proportions stables depuis trente ans. Pourtant, « un tiers des personnes interrogées s’estiment plus religieuses que leurs parents » , et les sociologues notent une « progression des “religieux”, souvent les plus orthodoxes, au sein des institutions communautaires » . Un jeune sur cinq fréquente une école juive.

-Foi, lien avec Israël et participation à la « vie communautaire » vont de pair. Près de 28 % des Juifs se déclarent très intégrés à cette dernière : leur engagement envers Israël est « fort » à 60 %, « moyen » à 25 % et « faible » à 15 %. À l’inverse, près de 32 % s’estiment faiblement intégrés : seuls 23 % d’entre eux ressentent un « fort » engagement vis-à-vis d’Israël,
23 % le présentant comme «  moyen  » et 54 % «  faible  ».

-Deux tiers des Juifs s’intéressent à la vie de la cité et s’engagent dans des associations, juives ou non. Ils participent un peu plus aux élections (82,5 % contre 79,7 % au second tour de la présidentielle de 2002). Au premier tour, 51,8 % disent avoir voté pour Lionel Jospin, Christiane Taubira et Jean-Pierre Chevènement (qui recueillirent 23,8 % des suffrages exprimés) et 34,2 % pour Jacques Chirac, François Bayrou et Alain Madelin (qui totalisèrent 30,6 %).

Rares sont ceux qui choisirent les candidats communiste, d’extrême gauche ou écologistes (7,1 % contre 20,9 %) et a fortiori d’extrême droite (0,5 % contre 19,2 %). Les «  proximités  » autodéclarées en 2006 confirment cette caractéristique : seuls 8,8 % citent le Parti communiste, les trotskistes ou les Verts, et 0,4 % le Front national ou les mégretistes –  ces forces dites «  extrêmes  » rassemblent à l’époque plus du quart des intentions de vote dans les sondages…

-Des sondages plus récents indiquent une érosion de la gauche et une poussée équivalente de la droite. La première resterait toutefois majoritaire, sauf chez les artisans, commerçants et chefs d’entreprise. Le vote de droite s’accroît avec la pratique religieuse et ­l’intégration dans la « communauté » organisée. Il paraît légèrement plus répandu chez les séfarades que parmi les ashkénazes.

-D’où la conviction des auteurs de l’enquête publiée en 2009 : « La dispersion des choix électoraux a invalidé l’hypothèse d’un vote juif. La France n’a pas échappé pour autant, nuancent-ils, au mouvement récent de revendication des identités particulières dans l’espace public. […] On a même pu entendre l’expression de “lobby juif”. » Mais celui-ci ne serait efficace – électoralement s’entend – que si les Juifs votaient essentiellement en fonction de l’attitude des candidats vis-à-vis d’Israël ou de l’antisémitisme. Or, « la politisation observée n’est liée aux seuls facteurs juifs que pour une minorité […]. Au contraire la majorité adopte une attitude universaliste » . Seuls 17 % des Juifs – mais 46 % des plus pratiquants – considèrent la position du candidat à l’égard d’Israël comme déterminante…

-Encore un chiffre : 91 % des chefs de foyer juifs se déclarent… heureux.

[^2]: Cf. les résultats commentés par l’auteur sur www.akadem.org/sommaire/themes/liturgie/11/2/module_2233.php

[^3]: Cf. www.fsju.org/social/etudebesoinssociaux.htm

[^4]: Coll. « Le lien social », PUF, Paris, 2009.

[^5]: Les termes bibliques sfarad et ashkenaz ont été utilisés pour désigner respectivement l’Espagne et l’Allemagne.

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