Qui a peur du peuple ?

Denis Sieffert  • 4 novembre 2011 abonné·es

La décision du Premier ministre grec, Georges Papandreou, de soumettre à référendum le plan concocté à Bruxelles par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy agit comme une véritable déflagration dans le ciel européen. En soi, cette sidération des principaux dirigeants est un problème. On est si peu habitué à demander l’avis du peuple ! On se souvient de la façon dont on a balayé d’un revers de main le « non » français au Traité constitutionnel, en 2005, et dont on l’a contourné par la voie parlementaire.

Il a sans doute fallu que la situation lui paraisse inextricable pour amener le Premier ministre grec à se tourner, finalement, vers les électeurs. En premier lieu, bien sûr, en raison du climat quasi insurrectionnel qui règne depuis plusieurs semaines à Athènes. Car il ne s’agit pas seulement d’effacer une partie de la « dette grecque », il s’agit aussi de faire payer très chèrement cette aide au peuple grec. Coincé entre la colère de la rue, le diktat européen, et une opposition de droite (en principe les amis de M. Sarkozy et de Mme Merkel) qui pratique la politique du pire, M. Papandréou a retrouvé in extremis le chemin de la démocratie. Peut-être pour mieux la circonvenir. Nous verrons. Car il reste à savoir la question qui sera posée, en janvier prochain, et la position qu’adoptera le Premier ministre. Un référendum, oui, mais quel référendum ?

Dans cette affaire, il faut aussi dire un mot de la réaction des marchés. La chute spectaculaire des cours sur toutes les places financières, mardi, témoigne une nouvelle fois, s’il en était besoin, de la détestation des « élites financières » pour toute forme de démocratie. Pire qu’une détestation, c’est un monde – le peuple, la démocratie – qui leur est totalement étranger…

Un autre cas d’école nous est soumis ces jours-ci par l’actualité : la Tunisie. Un peuple qui vote pour élire ses représentants et qui, après vingt-quatre ans de dictature, le fait avec sagesse, cela devrait susciter dans nos régions un certain enthousiasme. Eh bien, apparemment, ce n’est pas si simple ! On entend, en France, des voix s’élever pour répandre le soupçon sur ces élections tunisiennes. Des voix peu nombreuses, sans doute, mais qui ont la faveur des médias. Des « démocrates » autoproclamés qui jugent les peuples du haut de leur Aventin. En cause, le score du parti islamiste Ennahda. Racheed Ghannouchi, le leader de ce mouvement, n’est pourtant pas un taliban. Voudrait-il le devenir que le jeu d’alliances auquel il va devoir sacrifier ne le lui permettrait pas.

Il y a beaucoup d’outrecuidance de la part de Caroline Fourest, et de quelques autres, à prétendre décrypter en permanence le double langage de ces fourbes islamistes. Plutôt que de répandre le soupçon, et de suggérer que ces peuples arabes, décidément, ne sont pas mûrs pour voter, les Torquemada de la laïcité devraient nous dire quelle est l’alternative. Le retour de Ben Ali ? On pourrait apercevoir une larme de nostalgie, en effet, en lisant sous la plume de la même Caroline Fourest qu’il n’y a pas « d’islamistes modérés » et que l’AKP turc doit cette trompeuse apparence à la « peur de l’armée » .

Ce qui revient tout de même un peu à manifester un faible pour le pouvoir militaire. Et si ce n’est pas le retour à la dictature, quelle est donc la solution ? On en connaît deux dans le monde arabe. La Palestine, d’abord, où, après avoir témoigné de la régularité des élections, nos démocraties européennes et étatsuniennes en ont rejeté le résultat, créant les conditions d’une guerre civile inter-palestinienne, tout en continuant d’affaiblir les laïques palestiniens face à la colonisation israélienne. Cette politique de Gribouille n’a fait que renforcer le Hamas. L’autre exemple, c’est évidemment l’Algérie. On se souvient que l’intervention de l’armée après le premier tour des législatives de décembre 1991, remportées par le Front islamique du Salut, avec 47 % des voix (mais beaucoup plus d’abstentions qu’en Tunisie), a débouché sur une guerre civile qui a duré dix ans, fait au moins cent cinquante mille morts et précipité le pays dans un chaos dont il ne s’est toujours pas relevé.

L’autre solution… est de respecter le verdict des urnes. Puis de se battre sur le double terrain politique et culturel. Car, bien entendu, on peut comprendre la crainte des femmes tunisiennes. Elles ont à redouter moins la politique d’Ennahda que la pression sociale et culturelle. Car le score de ce mouvement islamiste n’est pas la cause mais la conséquence de l’état de la société. Et, en particulier, de son état social. Face à cela, il n’y a pas de raccourci. Ni l’interdit ni l’exclusion du champ politique. Ce remède-là est toujours pire que le « mal ». Et les conseilleurs post-colonialistes sont des prophètes de malheur qui poussent aux pires solutions. Finalement, entre les banquiers et leurs complices en politique, et les experts qui ne tolèrent les autres pays qu’à notre image, cela fait beaucoup de monde, dans nos régions, qui a peur des peuples.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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