Réseau à vendre !

Le changement de 85 % des horaires vise à préparer le terrain aux opérateurs privés. Ce que le gouvernement se garde bien d’avouer.

Thierry Brun  • 24 novembre 2011 abonné·es

Ce n’est pas un hasard si les changements d’horaires de trains prévus pour le 11 décembre coïncident avec la mise en circulation, le même jour, des trains de Thello, filiale de Veolia et premier concurrent de la SNCF pour le transport de voyageurs (voir ci-contre).

Le secteur ferroviaire connaît une véritable révolution sociale et économique résultant en grande partie de l’instauration de la concurrence pour briser ce qui reste du monopole de la SNCF, présenté comme un obstacle au développement du secteur.

Jusqu’au début de l’année, la communication de Réseau ferré de France (RFF) présentait un argumentaire associant un « cadencement » (qui consiste à faire rouler des trains à horaires réguliers) généralisé du réseau ferroviaire à l’ouverture à la concurrence du trafic des grandes lignes. Très demandeur, RFF annonçait donc qu’il préparait le terrain aux entreprises ferroviaires privées.

En tête des documents, pour justifier les changements d’horaire, RFF invoquait « une mise en place progressive de la concurrence, qui demande plus de lisibilité et de transparence dans l’allocation de capacité » . Ce qui n’a pas échappé à l’Association des Régions de France (ARF), pourtant favorable au cadencement. Dès la fin 2009, l’ARF a manifesté son inquiétude et relevé que l’objectif principal des horaires cadencés porte sur le développement du TGV, « parfois au mépris du trafic régional et du rythme des projets portés par les collectivités régionales » , dans une lettre adressée à Jean-Louis Borloo, à l’époque ministre de l’Écologie [^2]. Les élus des Régions y déploraient aussi le manque de transparence des opérateurs ferroviaires.

Alors que se profile l’élection présidentielle, la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, a tenté d’atténuer les aveux de dérégulation du rail, dont les conséquences néfastes pour les usagers ne manqueront pas. En mars, dans une lettre de cadrage adressée au président de la SNCF, Guillaume Pépy, et au PDG de Réseau ferré de France (RFF), Hubert du Mesnil, la ministre a délivré quelques « éléments de langage » . Contrairement à ce qu’affirme RFF, Nathalie Kosciusko-Morizet estime que la priorité des bouleversements liés aux nouveaux horaires doit être « la ­robustesse du réseau » . Dans le même courrier, elle revoit aussi à la baisse le cadencement, à hauteur de 85 % le 11 décembre, au lieu des 100 % souhaités par RFF.

D’où la volte-face du gouvernement et des opérateurs. Thierry Mariani, secrétaire d’État chargé des Transports, et la ministre de l’Ecologie expliquent désormais officiellement que le bouleversement des horaires résulte du lancement d’un programme d’entretien de trois ans, qui entraînera à court terme, des retards…

De même, Guillaume Pépy et Hubert du Mesnil invoquent la modernisation du réseau à partir de 2012 et le lancement de la ligne Paris-Rhin-Rhône pour expliquer l’entrée en vigueur du cadencement. Une séance de rétropédalage des dirigeants de RFF et de la SNCF a eu lieu en juin pour rassurer les élus et les usagers, avec la promesse de privilégier la concertation, quelques mois avant la mise en place du nouveau plan de transport ferroviaire, considéré par la SNCF comme du « jamais vu dans l’histoire du chemin de fer en Europe ».

En fait, les opérateurs ont cultivé la discrétion. La SNCF n’a publié que récemment les nouveaux horaires des trains, « susceptibles d’évoluer d’ici au 11 décembre » , alors que l’entreprise publique les avait transmis à RFF dès décembre 2010. Les associations d’usagers ont dû s’adresser aux autorités organisatrices de transport de leur région, ainsi qu’à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf). Il a fallu attendre le 15 novembre pour que RFF et la SNCF nomment une médiatrice dédiée aux nouveaux horaires, une certaine Nicole Notat, PDG d’une agence de notation extra-financière qui regroupe tout le CAC 40 dans son conseil d’administration…

« On va sacrifier l’outil SNCF, démanteler les parties les plus rentables pour le privé, et on laissera les lignes à problème aux Régions. Ce qui est scandaleux, c’est que RFF et la SNCF communiquent largement en disant que c’est pour le bien des usagers et qu’ils vont faire 5 000 kilomètres de travaux » , s’indigne Farid Benhammou, à l’origine d’un collectif citoyen de défense du train qui dessert les gares du Val-de-Loire.

À la SNCF, les syndicats de cheminots dénoncent le manque de concertation. SUD-Rail s’interrogeait en septembre sur les deux réunions organisées dans le cadre de la préparation du cadencement généralisé : « Que reste-t-il à concerter ? Car en région, dans les activités, tout semble déjà bouclé ! » On repassera pour « l’écoute attentive » promise à chaque voyageur par les opérateurs ferroviaires, assurément plus vigilants aux évolutions du marché.

[^2]: Lettre que s’est procurée la Fédération active des usagers voyageurs de Bourgogne (Fauv), www.fauv.fr

Publié dans le dossier
Big Bang à la SNCF
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