« Des ponts entre Blancs et Noirs »

Le compositeur sud-africain Michael Blake, qui tente de relier depuis les années 1970 les musiques africaine et expérimentale, se bat également pour la reconnaissance des musiciens noirs.

Denis Constant-Martin  • 19 janvier 2012 abonné·es

En Afrique du Sud, pendant longtemps, la musique « classique » a été érigée en emblème de la supériorité culturelle des Blancs. Quelques compositeurs ont combattu cette idée. Aux premiers rangs de ceux-ci : Michael Blake. En 1997, de retour en Afrique du Sud après avoir vécu vingt ans à Londres, il construit un cadre dans lequel la création musicale sera ouverte à de jeunes musiciens, en particulier noirs : le New Music Indaba (Nouvelles Musiques en dialogue). Il revient ici sur le sens de sa double démarche de compositeur et de catalyseur.

Vous avez déclaré récemment : « J’ai toujours été persuadé que composer et jouer de la musique constituent un acte politique », qu’entendez-vous par là ?

Michael Blake : Pour que la musique serve à quelque chose, elle doit avoir un effet positif sur l’auditeur. En Afrique du Sud, prendre en considération la musique africaine, c’est déjà affirmer un propos. Je l’ai toujours utilisée dans mon travail, dans le contexte de la musique expérimentale de tradition américaine qui a commencé avec Charles Ives. Elle m’a séduit parce qu’elle n’est pas narrative, ne suppose pas le développement de thèmes. Steve Reich, aux États-Unis, Kevin Volans, en Afrique du Sud, ont montré que l’association musique africaine/musique expérimentale est fructueuse.

Je travaille depuis plusieurs années à partir des musiques pour arc musical construites sur deux notes et la série des harmoniques qu’elles engendrent. Les formes cycliques m’intéressent aussi beaucoup. Je les utilise librement en les combinant, comme dans mon Concerto pour piano , afin de proposer un récit fragmenté.

Je suis prudent en ce qui concerne les rythmes, mais j’introduis des formules polyrythmiques et des superpositions binaire/ternaire. Cela me permet de ne pas écrire de longues mélodies, plutôt des fragments que je répète dans des environnements différents et qui, ici encore, peuvent être inspirés de musiques africaines, voire de chants d’oiseaux africains.

La musique chorale noire vous intéresse également.

Oui, alors qu’elle est méprisée par les autorités musicales ; j’ai écrit une grande sonate pour piano, sous-titrée Choral Sonata , conçue comme une « réponse » à quatre compositeurs très importants : Michael Moerane, Joshua Mohapeloa, Reuben Caluza et Ntsikana.

Depuis que je suis revenu en Afrique du Sud, je me suis efforcé de tisser des ponts entre les compositeurs blancs et les compositeurs noirs. À la fin des années 1990, ces derniers étaient cantonnés au monde choral. Pour le New Music Indaba, que j’ai animé de 2000 à 2006 dans le cadre du Festival de Grahamstown [la plus importante manifestation culturelle ­sud-africaine, NDLR], j’ai demandé à des chœurs africains de chanter des pièces commandées à Kevin Volans ou des œuvres d’Arvo Pärt et de Stravinsky. En 2001, à l’occasion de la venue d’un formidable chœur français, Musicatreize, j’ai commandé des œuvres à Mokale Koapeng et à Phelelani Mnomiya, et le résultat est stupéfiant.
J’ai organisé des ateliers pour les jeunes compositeurs noirs, je les ai mis sur le même plan que les compositeurs blancs. Cela a permis aux premiers d’écrire des quatuors à cordes, des pièces pour piano et des œuvres instrumentales. Mais ces œuvres ne sont pas enregistrées.

Le Bow Project, conçu à partir de l’arc musical, a fait l’objet d’un CD.

Il a pris forme au sein du New Music Indaba. J’ai invité Madosini Latozi Mpahleni, une des meilleurs spécialistes de l’instrument, et j’ai demandé à deux compositeurs, puis à plusieurs autres, d’écrire des quatuors à cordes en réaction à sa musique, et aussi à partir des enregistrements d’une autre grande joueuse d’arc, malheureusement décédée, Nofinishi Dywili. Douze musiciens d’origines diverses ont ainsi composé des quatuors, qui ont été publiés par une firme danoise.

Le Bow Project est un exemple de la manière dont la musique peut avoir un impact : il a réuni des cultures qui ont été séparées et a suscité des œuvres fortes. L’auditeur n’en sort pas indemne ; on peut même rêver que sa vision de l’Afrique du Sud en soit modifiée.

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