« Les Chants de Mandrin » de Rabah Ameur-Zaïmeche : la belle équipe

Avec Les Chants de Mandrin, Rabah Ameur-Zaïmeche
signe un film d’une liberté réjouissante.

Christophe Kantcheff  • 26 janvier 2012
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Quand le film commence, Louis Mandrin a été exécuté en place publique. Nous sommes en 1755. Les compagnons du célèbre contrebandier poursuivent son action. Ils vendent leurs produits en « marché libre » sur les routes du sud de la France. Rabah Ameur-Zaïmeche, l’auteur de Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? et de Dernier Maquis , se lancerait-il dans le film en costumes ? Pas si simple.

Il y a incontestablement un ­plaisir de fiction à quitter le présent, à changer d’époque. À filmer, par exemple, de jeunes hommes habillés en soldats du roi à la recherche d’un des leurs, un déserteur sérieusement blessé, que Bélissard (Rabah Ameur-Zaïmeche) et sa troupe recueillent, soignent et intègrent parmi eux. Ou à montrer Jacques Nolot (voir ci-contre) comme on ne l’a jamais vu, sous les traits du marquis de Lévezin, modeste hobereau de province, à la fois fragile et avant-gardiste, s’enquérir auprès du colporteur Jean Sératin (formidable Christian Milia-Darmezin) de la possibilité d’approcher les amis de Mandrin au cours d’un improbable parcours en carrosse, qui se termine dans un champ de moutons.

Raconter l’histoire des compagnons de Mandrin, c’est aussi s’emparer de la légende de ceux qui volent les riches pour donner aux pauvres et qui répandent des idées révolutionnaires. Ce qui permet au cinéaste d’affirmer sans détour dans quel camp il se place : celui des insoumis et des réfractaires contre « ces scélérats qui nous gouvernent » , celui des nomades aussi. Quand le marquis de Lévezin demande à Bélissard depuis quand lui et ses compagnons sont sur les routes, ce dernier répond non sans panache : « Depuis que nous sommes nés ! »

Enfin, revisiter au cinéma la geste de Mandrin et ses prolongements, épisode de l’histoire de France qui appartient au patrimoine national, est un acte incontestablement ­politique quand le cinéaste répond au beau nom un peu sarrasin de Rabah Ameur-Zaïmeche.

Mais les Chants de Mandrin n’est pas la Princesse de Montpensier . C’est même l’exact inverse. On a ici affaire à un film de rêverie, pas de reconstitution. À une esthétique de poète intrépide et utopique, pas à un académisme. Que le film ait été réalisé avec trois euros six sous n’en est pas la seule raison. Même si Rabah Ameur-Zaïmeche sait tirer parti de son budget limité en donnant du sens au peu qu’il montre. Et chez lui, pauvreté de moyens ne signifie pas laideur de l’image. La lumière, signée Irina Lubtchansky, comme les cadres, est superbe, que ce soit pour filmer le satiné d’une peau, des chevaux au galop ou des hommes réunis autour d’un feu la nuit.

En réalité, les Chants de Mandrin est un film qui réinvente une époque à partir d’un regard au présent. D’où ce jeu sur la langue des dialogues, que les comédiens improvisent. Et un humour continu. Plus précisément, alors que des metteurs en scène font jouer Molière ou Corneille en habits contemporains, Rabah Ameur-Zaïmeche fait un film d’aujourd’hui enchanté par une vision du XVIIIe siècle. C’est là l’expression d’une extrême liberté. Ce qui donne, par exemple, filmée à l’heure des nouveaux moyens de communication mais aussi d’un mauvais climat anti-intellectuel, la rencontre entre le cinéma, le livre et la pensée, quand Bélissard, accompagné du marquis, vient commander à un imprimeur, ­interprété par le philosophe Jean-Luc Nancy, mille exemplaires des sulfureux chants de Mandrin. Scène qui précède la visite de la fabrique de papier, montrée comme un lieu de compétences et de quiétude.

Si les Chants de Mandrin est un film en costumes, il en exhibe toutes les coutures. Non seulement, l’effet sur le spectateur est celui de la « distanciation brechtienne », qui casse les croyances de l’illusion, mais, en laissant au montage des accidents de tournage – il serait plus juste de parler de « miracles » de tournage – ou telle phrase inopinée, le cinéaste ajoute une dimension documentaire sur la fabrication de son film, presque un making-of. La troupe de Mandrin renvoie dès lors à l’équipe du film, à sa solidarité, à son indépendance, à son organisation. Les Chants de Mandrin est aussi l’affirmation crâne d’une manière politique de faire des films. Entre cinéma de phalanstère et de contrebande.

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
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