Les raisons de la déception

Le style de Barack Obama est souvent passé pour un manque de pugnacité. Peut-il reconquérir la partie désillusionnée de son électorat ? État des troupes.

Alexis Buisson  • 5 janvier 2012 abonné·es

Chet Whye est un supporter de la première heure de Barack Obama. Il dirige « Harlem4Obama », un groupe créé en 2008 dans le quartier noir de New York, Harlem, pour mobiliser autour de la candidature du Démocrate. Pour son héros, il a tenu des réunions, levé des fonds en vendant des tee-shirts et des stylos, et recruté pas moins de 2 700 volontaires pour faire du porte-à-porte et passer des appels téléphoniques afin de faire basculer les indécis. En deux mois, ces volontaires auraient convaincu 3 000 électeurs de se rendre aux urnes.
En août dernier, le groupe s’est reformé. Objectif : réélection. Pour 2012, Whye voit les choses en grand : il veut inscrire sur les listes électorales deux fois plus d’individus en âge de voter qu’en 2008. Pour lui, l’élection à venir est aussi importante que la précédente : « Un président définit toujours son héritage lors de son second mandat. »

Chet Whye sait cependant que les campagnes de réélection sont, par essence, compliquées. À la première élection, les militants se ­sentent invincibles, armés d’idéaux pour changer le pays. Puis la réalité du pouvoir prend le dessus. Des compromis sont négociés. Il faut défendre un bilan, convaincre les désillusionnés. Comme l’écrivait un éditorialiste de Time Magazine, « la joie de gagner cède la place à la peur de perdre » .

Barack Obama lui-même semble avoir été gagné par une forme de désillusion. Ses supporters se souviennent de sa participation, fin octobre 2010, à l’émission satirique « The Daily Show », quand il a indiqué qu’il transformerait son fameux « Yes We Can » en « Yes We Can, but… » (Oui, nous pouvons, mais…), avant d’être interrompu par les rires de l’animateur Jon Stewart. Tout était déjà dit.

À l’aube de 2012, Barack Obama a beaucoup à faire pour remobiliser sa base. En presque quatre ans, le soutien des électorats qui ont voté pour lui en 2008 s’est érodé. Si les électeurs hispaniques restent pro-Obama pour deux tiers d’entre eux, selon le Pew Research Center, les Afro-américains s’en détournent : selon un sondage ABC- Washington Post , la part de ceux dans ce groupe ayant une opinion « très favorable » du Président a chuté de 83 % à 58 % – la part d’opinions « favorables » restant relativement élevée, à 86 %.

La même tendance s’observe chez les femmes, dont le soutien est retombé à moins de 50 %, et les jeunes. Selon un sondage du Harvard Institute of Politics (IOP), un peu moins d’un tiers (32 %) seulement de ce dernier groupe, qu’Obama a su davantage mobiliser que Bill Clinton, approuve la manière dont l’économie est gérée, soit une baisse de onze points par rapport au mois de février. « Ce sondage sonne comme un avertissement pour Barack Obama et l’engagement politique de la génération américaine la plus grande » , estime John Della Volpe, directeur des sondages au Harvard Institute of Politics.
Au cœur de ce désamour, une série de réformes impopulaires et un Président incapable d’imposer son rythme. Il y eut tout d’abord la montée en puissance de l’État fédéral, à travers un premier renflouement du secteur bancaire en janvier 2009. Puis un coûteux plan de relance pour les fabricants d’automobiles, poumons de l’économie américaine. Montant de cette dernière facture : 82 milliards de dollars. Dans une Amérique fortement marquée par les préceptes reaganiens du laissez-faire, le retour de cet État interventionniste est vu d’un mauvais œil.

En mai 2010, l’adoption définitive de la réforme du système de santé, promesse du candidat Obama, tend les relations entre de nombreux Démocrates et leur Président. Les critiques affichent déception, incompréhension ou méfiance face au texte. Plusieurs mesures prévues par la loi, comme la mise en place d’un marché d’échange d’assurances au niveau des États fédérés, n’entreront en vigueur qu’en 2014. Surtout, le texte final n’institue pas la fameuse « option publique » , une assurance publique basique réservée à ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir une couverture médicale privée.

Pour d’autres encore, la réforme aurait pu attendre. Avec un taux de chômage entre 9 et 10 %, des taux élevés pour un pays habitué au plein-emploi, ils espéraient que le nouveau Président se concentrerait sur la bataille de l’emploi. En donnant la priorité à « Obamacare », le surnom de la réforme de la santé, celui-ci a donné un signal inverse. Trop lourde, trop interventionniste, mal expliquée, la réforme est mal digérée. Lors du vote sur le texte par la Chambre des représentants, 34 députés démocrates la rejettent. Mauvais présage. « Obama m’a perdu » , souligne Keith, un musicien originaire du Tennessee, dépourvu d’assurance-maladie, et qui a voté Barack Obama en 2008.

À l’autre bout de l’échiquier politique, ces déconvenues ont eu pour effet de galvaniser le parti républicain, majoritaire à la Chambre des représentants depuis novembre 2010. À plusieurs reprises, Barack Obama a semblé perdre ses bras de fer avec lui. L’exemple le plus criant est celui de la crise autour du ­relèvement du plafond de la dette en juillet dernier. Ce vote, qui a lieu tous les ans pour assurer l’emprunt américain sur les marchés financiers, s’est transformé en course contre la montre pour éviter la faillite du gouvernement fédéral et la fermeture de certains services publics. Les âpres négociations entre le leadership républicain et le Président se sont soldées par un compromis, sous la forme d’un comité bipartite voulu par Barack Obama pour identifier les postes de dépenses à réduire. Fin novembre, le comité s’est séparé sur un échec.

Autre épisode peu flatteur pour le Président : le 31 août, le speaker (président) de la Chambre des représentants, John Boehner, a exigé du locataire de la Maison Blanche qu’il décale un discours sur l’emploi prévu le 7 septembre, car celui-ci coïncidait avec la tenue du premier débat des primaires républicaines. Obama a cédé sous les railleries de la presse.

Cette série noire montre les limites du style Obama. Depuis ses études à Harvard, le Président s’est forgé une réputation d’homme d’écoute, pragmatique, ouvert au compromis. Méthode qu’il a conservée jusqu’à son arrivée à la Maison Blanche.  « Comme Obama le dit lui-même, nos valeurs doivent être testées par les faits et l’expérience. Les pragmatiques et les démocrates de principe (comme Obama) sont voués au débat, à l’expérimentation et à la réévaluation critique des résultats » , rappelle James T. Kloppenberg, historien qui a signé un ouvrage sur la philosophie d’Obama.

Dans un paysage politique de plus en plus clivé, cette culture du compromis semble mal comprise, jusque dans les rangs des Démocrates eux-mêmes, où le manque de pugnacité du Président a pu agacer, notamment lors du débat sur l’autorisation du relèvement du plafond de la dette.

Les chances de réélection de Barack Obama ne seront connues que quand sera désigné son adversaire républicain. Pour l’heure, selon un sondage de l’institut Gallup en décembre, il l’emporterait face à Mitt Romney, l’ancien gouverneur du Massachussetts, favori de son parti, et la star montante Newt Gingrich. L’ancien speaker républicain de la Chambre des représentants, trois femmes et deux relations extraconjugales à son actif – ce qui fait mauvaise impression sur l’électorat américain – recueillerait 48 % des intentions de vote face au Président sortant. Romney est crédité du même résultat.

Barack Obama pourra en tout cas ­compter sur la machine électorale qui l’a fait élire. Organizing for America (OFA), l’armée de volontaires qui a écumé l’Amérique pour mobiliser les pro-Obama, est toujours en place. Plus de 400 employés, avec plus de deux ans d’expérience, et plus d’un million de volontaires seraient mobilisables aux quatre coins du pays. Le nombre d’emails recueillis aurait dépassé les dix millions depuis l’élection de 2008, selon le site politique Politico .

Par ailleurs, l’équipe de réélection autour d’Obama est pratiquement inchangée, renforcée même par l’arrivée de Stephanie Cutter, une vétérane de la communication politique qui a notamment travaillé sur l’image de la réforme du système de santé au sein de l’opinion. Aux États-Unis aussi, la bataille de 2012 est lancée.

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Obama, one more time ?
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