« Lutter contre les marges extrêmes »

La baisse du coût du travail n’est pas la solution contre les délocalisations.

Thierry Brun  • 26 janvier 2012 abonné·es

L’économiste El Mouhoub Mouhoud, spécialiste d’économie internationale, donne d’autres pistes que l’augmentation de la TVA pour doper l’emploi.

Une TVA « sociale » est-elle efficace pour lutter contre les délocalisations ?

El Mouhoub Mouhoud : Si l’on voulait lutter contre les délocalisations, il faudrait d’abord lutter contre les comportements de marge des firmes qui délocalisent une large partie de leur production dans les pays à bas salaires et réimportent le produit final pour le vendre en France ou en Europe à des prix alignés sur les coûts de production français. Ce n’est pas le renchérissement d’un point de TVA qui les incitera à ne pas délocaliser, et encore moins à relocaliser. La marge est telle sur les produits haut de gamme que le renchérissement des prix par la TVA sera compensé par une légère diminution de ces marges extrêmes. Le seul perdant sera le consommateur.

Le gouvernement la justifie au nom d’une baisse de coût du travail pour rendre les entreprises compétitives. Qu’en pensez-vous ?

L’efficacité des aides à la réduction des coûts du travail pour créer des emplois et freiner les délocalisations est très limitée. Elles ne peuvent combler l’écart de coûts salariaux entre la France et les pays à bas salaires. Ce débat a lieu actuellement aux États-Unis aussi. La conclusion de l’administration Obama est que, pour avoir une chance que la baisse de la fiscalité sur les entreprises se traduise par une récupération d’avantages comparatifs des entreprises américaines, il faut qu’elle atteigne un niveau important. Cela signifie que les ressources vont manquer pour assurer les dépenses publiques d’infrastructures, de transports, aider à la recherche et au développement, etc. Ce qui risque de se traduire par la dégradation de l’attractivité des territoires industriels… C’est donc plus compliqué qu’il n’y paraît.

Outre l’aide à l’innovation et à ­l’automatisation – qui pose d’ailleurs aussi des problèmes d’emplois –, il faut lutter contre les firmes qui maquillent leurs opérations de délocalisation par des politiques de marques agressives. Il faut une traçabilité précise des lieux de fabrication à toutes les étapes de production. Il faut remonter la chaîne de la production d’une entreprise donnée dans différents pays.

L’action des consommateurs pour dénoncer les comportements de marge et celle des pouvoirs publics pour les réglementer sont une piste qui aura des effets directs sur la délocalisation et les importations. Plus que les mesures d’incitation par la baisse des coûts du travail qui ont prouvé leur inefficacité depuis belle lurette.

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