François Hollande : « Le changement, c’est moi ! »

Qu’il s’agisse de l’énergie, de l’Europe ou du social, François Hollande préfère penser en termes de réformes déterminées mais non brutales. De quoi opérer la rupture espérée avec le sarkozysme ?

Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Patrick Piro  • 12 avril 2012 abonné·es

À dix jours du premier tour de la présidentielle, nous avons interrogé François Hollande sur un certain nombre de questions qu’il traite peu, nous semble-t-il, ou pas du tout, comme l’écologie, la réforme des institutions ou encore la réorganisation des Nations unies. Nous l’avons aussi interrogé sur la percée de Jean-Luc Mélenchon. Sur ce dernier point, le candidat socialiste en reste à l’argument du vote utile. Il se présente comme le seul qui puisse réaliser le changement. Oui, mais quel changement ? Et avec quelle intensité ? C’est tout le débat avec le candidat du Front de gauche, que nous rencontrerons la semaine prochaine, comme nous rencontrerons Eva Joly. Ces deux derniers entretiens seront publiés dans Politis le 19 avril.

Vous n’avez pas de proposition d’envergure sur l’écologie, notamment sur le climat et l’énergie. Pourquoi vous en remettez-vous uniquement à une consultation type Grenelle ?

François Hollande : Dans les 60 engagements que j’ai pris devant les Français, j’ai indiqué clairement mes priorités en matière énergétique et environnementale. Ma volonté est triple : entamer une transition énergétique qui a été trop longtemps repoussée, faire des économies d’énergie pour limiter les atteintes environnementales et préserver le pouvoir d’achat des Français, et, enfin, protéger et même développer l’emploi dans le secteur de l’énergie.
La diversification des sources d’énergie protégera la France contre les risques de dépendance au tout-nucléaire, tout en limitant la production de déchets radioactifs et les émissions de gaz à effet de serre. La centrale de Fessenheim, plus ancienne centrale française et située en zone sismique, sera fermée au cours du prochain quinquennat. Les salariés de Fessenheim se verront tous proposer un emploi. En revanche, la centrale EPR de Flamanville, dont la ­construction est très avancée, sera achevée afin de développer l’expertise et la maîtrise technologique françaises.

Le rééquilibrage énergétique créera les conditions de développement massif de filières industrielles innovantes et compétitives dans les ­énergies renouvelables. La France dispose d’atouts majeurs dans ce domaine, par exemple dans les énergies marines, l’éolien ou la biomasse, dont nous soutiendrons le développement à travers la création d’un fonds de capital-investissement doté d’un milliard d’euros. Toutefois, la clé de toute politique énergétique de long terme tient à l’évolution de la consommation d’énergie. C’est pourquoi j’engagerai un vaste plan qui permettra à un million de logements par an de bénéficier d’une isolation thermique de qualité.
Cette mesure réduira les besoins de production et les émissions de gaz à effet de serre, diminuera la facture de chauffage des Français et créera de nombreux emplois non délocalisables. De même, la tarification progressive de l’énergie incitera à la réduction des consommations, tout en assurant l’accès universel à une énergie abordable.

La politique sociale que vous envisagez (augmentation du Smic, notamment) étant subordonnée à la croissance, que ferez-vous si celle-ci n’est pas à la hauteur de vos espérances ? N’y a-t-il pas lieu de récupérer les dizaines de milliards d’euros de valeur ajoutée prélevés ces vingt dernières années sur la rémunération du travail pour grossir les revenus du capital ?

Sans croissance, il est évident que la situation sociale, économique et budgétaire de notre pays sera difficile. Pour construire mon projet et le chiffrer, je me suis donc appuyé sur des ­hypothèses de croissance réalistes. Des instituts qui ne sont pas connus pour leur proximité idéologique avec la gauche ont d’ailleurs confirmé le sérieux du chiffrage de mon projet. Mais vous avez raison, nous devons rééquilibrer les rémunérations nettes du travail et du capital. Aujourd’hui, les revenus du travail sont davantage taxés que ceux du capital. C’est le sens de ma proposition de rapprocher l’impôt sur le revenu et la CSG. Les niches fiscales inutiles et coûteuses seront ainsi supprimées.
La majorité sortante privilégie de son côté les hausses de TVA, en « échange » d’une baisse des cotisations patronales. Je suis convaincu, pour ma part, qu’aucune hausse de la TVA ne peut être sociale. Les ménages les moins aisés consomment une très grande partie de leur revenu, et paient donc une TVA plus importante que les plus fortunés qui épargnent davantage. Je suis donc opposé à la hausse de la TVA, qu’il s’agisse du taux réduit qui a été relevé de 5,5 % à 7 % ou du taux plein de 19,6 % à 21,2 %. Si je suis élu président de la République, ces hausses seront annulées.

Vous continuez à qualifier toute véritable critique de l’Europe néolibérale d’antieuropéenne. Pourquoi ?

Vous ne trouverez jamais chez moi de tels amalgames. Mon projet européen est connu, et j’ai eu l’occasion de le présenter récemment en présence des nombreux dirigeants socialistes européens qui le soutiennent. Au plan économique, ma lecture de la situation actuelle est essentiellement keynésienne, et s’oppose à la vision d’une Europe offerte commercialement, restrictive monétairement et austère budgétairement. C’est tout le sens de la renégociation européenne que je propose.

Le traité d’union budgétaire est un traité incomplet, qui ne prône que l’austérité. Or, nous ne pouvons, en Europe, nous limiter à demander toujours davantage de rigueur. Cela nous entraîne dans une spirale de récession et d’injustice. J’ai moi-même inscrit la maîtrise des déficits publics en France comme une priorité de mes engagements, et je m’y tiendrai. Mais aujourd’hui, alors même que le gouvernement espagnol a reconnu qu’il ne pourrait tenir les déficits annoncés, que le chancelier autrichien, par exemple, ou encore Michel Barnier, au sein de la Commission européenne, estiment que la croissance est indispensable, nous devons inclure un volet de croissance qui permette de développer l’industrie européenne, de renforcer la solidarité, de lutter contre le chômage. Il nous faut, pour cela, réorienter les instruments existants, comme le fonds de mondialisation et les fonds de cohésion restants.
Nous devons également mettre en place de nouveaux financements comme les project-bonds (via la Banque européenne d’investissement), pour des projets industriels, énergétiques et d’infrastructures ciblés, et créer de nouvelles ressources, comme la taxe sur les transactions financières et la taxe carbone aux frontières de l’UE. J’ai le sentiment que ces propositions rencontrent en Europe un écho croissant.

On ne vous entend guère sur un changement des institutions…

Il est vrai que j’ai choisi de mettre les questions sociales, celle de l’avenir de la jeunesse, de l’emploi, du pouvoir d’achat, de la justice fiscale ou encore de la réorientation de l’Europe au cœur de ma campagne, et que les propositions institutionnelles sont en conséquence moins visibles. J’ai néanmoins fait un certain nombre de propositions.

Si je suis élu, je garantirai l’indépendance de la justice et des médias, en mettant fin aux excès de la période qui s’achève. Les pouvoirs du Parlement seront renforcés, et le gouvernement devra gouverner, non être caporalisé. Je lancerai aussi une nouvelle étape de la décentralisation, qui me semble indispensable pour améliorer la qualité du service public et rapprocher l’action publique des citoyens. J’abrogerai la « réforme territoriale », qui entraînerait un recul sans précédent de la parité, tout en révisant la fiscalité locale, qui est notoirement injuste.

Pourquoi ne faites-vous pas de proposition forte pour réorganiser l’ONU ?

Votre question fait probablement référence à ma proposition de ne pas remettre en cause le droit de veto français, lié à notre statut de membre ­permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. J’estime que, dans la période actuelle, il n’est pas souhaitable d’abandonner ce droit qui nous donne les moyens de préserver les intérêts vitaux de notre pays en cas de crise. J’ai toutefois inscrit dans mes engagements la volonté de rééquilibrer la gouvernance de la mondialisation, en élargissant le Conseil de sécurité et en agissant davantage autour du G20, qui fait une plus grande place aux pays en développement.

Quelle influence le discours de Jean-Luc Mélenchon peut-il avoir sur le vôtre ?

Je respecte Jean-Luc Mélenchon, qui pense qu’il est le mieux à même de proposer le changement. Là est d’ailleurs la question décisive : quelle est la meilleure voie pour changer, effectivement, non seulement de président mais de politique, quel est le meilleur choix pour gagner ? Néanmoins, j’ai présenté mon projet en janvier dernier et je compte continuer à le défendre. Mes propositions sont cohérentes et j’agirai donc avec constance, dans cette campagne puis comme président de la République si les Français m’accordent leur confiance.

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