Les étapes de la rigueur

François Hollande s’est engagé à revenir à l’équilibre des finances publiques, ce qui limite la portée de la conférence sociale des 9 et 10 juillet.

Thierry Brun  • 5 juillet 2012 abonné·es

L’austérité, encore et toujours, sera au menu des discussions budgétaires et de la prochaine conférence sociale. L’heure n’est pas à la relance keynésienne, qui renflouerait pourtant les caisses de l’État. La majorité socialiste ouvrira la législature sous le signe d’une validation des politiques de rigueur dictées par la règle d’or d’équilibre budgétaire. Cette perspective limite très fortement les marges de manœuvre du gouvernement et de la majorité au Parlement, dont les orientations s’inscrivent dans la continuité du gouvernement Fillon. Celui-ci avait pour objectif de ramener le déficit public de 4,5 % du PIB en 2012 à 3 % en 2013, puis de s’aligner sur les critères européens de retour à l’équilibre budgétaire. Présenté mercredi en Conseil des ministres, le projet de Loi de finances rectificative pour 2012 a été cadré quelques jours avant la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet. De même, le gouvernement a planché sans attendre sur le projet de Loi de finances pour 2013, ainsi que sur les orientations pour 2013-2015, qui aboutiront à une loi de programmation des finances publiques dans le courant de l’automne.

Perspective austère

L’audit de la Cour des comptes, publié lundi, donne la mesure des efforts budgétaires colossaux à réaliser pour tenir l’objectif d’une baisse du déficit budgétaire à 4,5 % du PIB d’ici à la fin de l’année, puis à 3 % en 2013. Le gouvernement veut respecter, dès l’année prochaine, l’un des critères de l’actuel pacte européen de stabilité, qui consiste à ramener le déficit public annuel en deçà des 3 %. Il veut également entrer dans les clous des nouvelles règles européennes « d’équilibre des finances publiques » déjà adoptées, a rappelé la Cour des comptes dans son audit sur les finances publiques [^2]. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a opté pour une politique de rigueur drastique : la France va devoir économiser 6 à 10 milliards d’euros supplémentaires en 2012, dans le cadre du projet de Loi de finances rectificative, et entre 30 et 40 milliards dans le projet de budget pour 2013, ces chiffres étant liés à l’évolution de la croissance. Alors que la récession pointe son nez en France, l’Élysée et Matignon veulent maintenir le cap d’un équilibre budgétaire en 2017. Une telle perspective ne peut qu’entraîner la mise en œuvre de politiques d’austérité qui seront un obstacle à la croissance tant recherchée par le chef de l’État. Nombre d’économistes ont alerté sur le risque que ces orientations budgétaires ne permettent pas de réduire les déficits, d’autant plus que la réforme fiscale annoncée sera a minima. La Cour des comptes a ainsi montré que les plans d’austérité successifs n’ont pas réduit la dette publique française : à la fin de l’année 2011, celle-ci a continué de croître et atteignait 1 717 milliards d’euros, en augmentation de 122 milliards par rapport à la fin 2010. Les engagements pris par le gouvernement sont lourds de conséquences sociales. Le rapport 2011-2012 de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale indique que la misère sous toutes ses formes a augmenté. Plus de 11,2 millions de personnes sont touchées soit par la « pauvreté monétaire », soit par « des privations matérielles sévères », soit par une « très faible intensité du travail », trois critères définis par la Commission européenne.

Dépenses gelées

Matignon a prévenu : un milliard d’euros de dépenses qui devaient être engagées d’ici à la fin 2012 seront gelés « en valeur », ce qui signifie que l’État ne pourra pas dépenser un euro de plus pour tenir compte du niveau de l’inflation. Ce milliard d’économie sur les dépenses publiques s’ajoute au gel global de l’évolution des dépenses de l’État, avec pour conséquence une baisse de son budget, de ceux de la Sécurité sociale, des établissements publics et des dotations aux collectivités territoriales. Les effectifs hors ministères de l’Éducation nationale, de la Justice et de l’Intérieur devront baisser de 2,5 % par an en moyenne de 2013 à 2015, et la rémunération des fonctionnaires sera gelée pour compenser les 65 000 postes qui seront créés pendant le quinquennat dans l’éducation, la police et la justice. Il n’est donc pas prévu de revenir sur la suppression de 150 000 postes dans la fonction publique d’État opérée pendant la période Sarkozy, excepté à Pôle emploi : le ministre du Travail, Michel Sapin, a annoncé la création de 2 000 nouveaux postes, d’ici à la fin 2012, pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Au-delà des effectifs, les dépenses de fonctionnement et d’intervention de l’État devront baisser de 7 % en 2013, puis de 4 % en 2014 et en 2015. L’ensemble de ces mesures se traduira de fait par une détérioration du service public et des conditions de travail.

Recettes minimes

Le gouvernement a confirmé les principales promesses du candidat Hollande : rétablissement du barème de l’ISF (2,3 milliards d’euros de recettes) et des droits de succession (140 millions cette année), fin des exonérations de charges des heures supplémentaires dans les entreprises de plus de 20 salariés (1 milliard en 2012), annulation de la TVA sociale adoptée dans les derniers mois du quinquennat de Nicolas Sarkozy. La création d’une nouvelle tranche d’impôt sur le revenu, taxant à 75 % les revenus supérieurs à 1 million d’euros, a été remise au mieux à l’automne. D’autres recettes sont annoncées. Les stocks pétroliers devraient être taxés à 4 % pour la seule année 2012. Les banques seront mises à contribution avec une taxe sur les risques systémiques qui passerait de 0,25 % à 0,5 %. La taxe sur les transactions financières sera relevée de 0,1 % à 0,2 % dès le 1er août. Par ailleurs, le forfait social sur la participation et l’intéressement sera relevé de 8 % à 20 %. Le gouvernement veut dégager au minimum 7,5 milliards d’euros de recettes pour boucler le budget de l’année 2012, puis environ 19 milliards d’euros pour 2013. Ces « petites » recettes seront consacrées à l’équilibre budgétaire et non au soutien de l’activité : le gouvernement ne se donne pas les marges de manœuvre proposées dans un audit citoyen présenté mardi [^3].

Conférence sociale encadrée

Les syndicats ont cerné les limites de la conférence sociale des 9 et 10 juillet. Alors que le chômage est au plus haut depuis treize ans (4,3 millions de demandeurs d’emploi), l’exécutif a déjà annoncé une diminution des effectifs des fonctionnaires alors qu’un des sept thèmes retenu s’intitule : « Moderniser l’action publique avec ses agents »… Le faible coup de pouce concédé au Smic (+ 0,6 %) a coupé l’herbe sous le pied de plusieurs syndicats qui revendiquent une augmentation significative du Smic à 1 700 euros dans le cadre de la table ronde « Assurer des systèmes de rémunération justes et efficaces ». En matière de retraite, le gouvernement n’est pas prêt à aller plus loin que le retour partiel à 60 ans. Quant à l’emploi, Pierre Moscovici, ministre de l’Économie, a donné des gages aux dirigeants de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), indiquant que la conférence sociale abordera « les questions touchant notamment au fonctionnement du marché du travail », sans oublier « de débattre des moyens de fonder une nouvelle politique de compétitivité » pour l’économie. Les syndicats apprécieront. D’autant que la grand-messe ne traite pas à égalité l’ensemble des organisations syndicales. Les représentants des confédérations syndicales participeront à toutes les réunions, sauf l’Unsa, la Fédération syndicale unitaire (FSU) et l’Union syndicale Solidaires. Les tables rondes du Conseil économique, social et environnemental (Cese) ne ressembleront ni aux accords de Matignon de 1936, ni aux accords de Grenelle de 1968. Le gouvernement a anticipé l’issue : pas d’annonce à la clé.

[^2]: « La situation et les perspectives des finances publiques », juillet 2012.

[^3]: « Que savons-nous aujourd’hui sur la dette publique en France ? », rapport d’étape du Collectif national pour un audit citoyen de la dette publique, juin 2012.

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