Quelques bulles d’air frais

Les éditions 2024 ont de l’audace. Léon Maret et Matthias Picard y publient leurs nouvelles BD. À lire, à offrir, à soutenir.

Marion Dumand  • 11 octobre 2012 abonné·es

Aux éditions 2024, créées en 2010, on publie rare, mais bien. Les livres sont soignés, et toujours accompagnés d’un petit feuillet à la pédagogie un tantinet ironique et au contenu rudement utile. Celui qui accompagne Canne de fer et Lucifer comprend ainsi plusieurs rubriques à la titraille concise, allant de la technique de dessin aux ingrédients du livre. Par exemple, « La plume », « La canne de combat », « La Révolution française ».

Le fascicule met en exergue une considération éditoriale : «  “Hein ? Vous publiez un livre de 300 pages d’un inconnu ? Mais les gars, vous êtes fous ? C’est du suicide !” La remarque aurait pu nous effrayer, surtout de la part d’un vénérable des Requins Marteaux  […], experts s’il en est en matière de projets éditoriaux irresponsables. » Ces mêmes Requins Marteaux ont eux aussi publié, au même moment mais avec un volume moitié moins épais, l’inconnu mortifère. Pourtant, à dire vrai, Léon Maret n’est ni inconnu ni mortifère puisque l’éditeur Alain Beaulet a survécu à sa première parution. Tout au plus peut-on affirmer que Léon n’a pas le titre aguicheur : après Laisse faire les sphères, recueil de plaisanteries, voici donc Course de bagnole et Canne de fer et Lucifer. Il est tout aussi impossible de compter sur les résumés succincts ou les courts extraits pour allécher le chaland. Voyons. Des duels à la canne sous la Révolution française ? Des voitures à fond la caisse ? Il faut alors croire sur parole les lecteurs déjà convaincus : Léon Maret mérite qu’on s’y frotte, qu’on ouvre sa longue bande dessinée. Canne de fer et Lucifer, c’est 300 pages aussi sec dévorées. Le dessin bondissant, le trait en liberté, l’esprit qui folâtre, toujours bon enfant, toujours innocent, la langue bien pendue, et donc décalée. Il a la plume qui démarre au quart de tour, légère, naïve. Le récit nous embringue, dans une sarabande, avec tabac et bandits, bandaison et combat, sans jamais avoir l’air d’y toucher, à cette violence.

Il n’a pas le temps, Léon Maret, il est comme son héros, Gaston Martin, le premier à la plume, le second à la canne : d’une vitesse sidérante, et sans une once d’agressivité. Il mène son récit tambour battant, et ses incartades mêmes participent de la tension et de la grâce. Loufoque, la grâce. Dragon Ball Z et Don Quichotte, Akira et Jacques-Louis Ménétra (maître verrier au XVIIIe siècle et autobiographe) sont les bonnes fées de ce M. Léon Maret. Ça fait du beau monde.

Jim Curious le scaphandrier navigue sous d’autres auspices, mais toujours chez 2024. Son eau de mer a un goût inattendu quand elle est servie par Matthias Picard, pour sa deuxième bande dessinée. Un mélange de monde sous-marin, cités submergées et univers psychédéliques, que l’on déguste lunettes 3D sur le nez, grâce à la technique des anaglyphes. Et cette troisième dimension ne relève pas du gadget ni du cache-misère : Jim Curious est construit par et pour ce processus, qui démultiplie la beauté du dessin, sa construction, en noir et blanc. Engoncé, bras et jambes écartés, le scaphandrier marche sur le quai. Il résonne de bangs métalliques, fait sourire de son pas gauche. L’image est drôle, les planches sont encore plates. Mais quand Jim plonge sous l’eau, et que nous mettons notre combinaison oculaire cyan et rose, nous nous retrouvons la tête dans le poulpe, en pleine immersion graphique. Jim et nous, émerveillés, contemplons des entrelacs d’algues, des myriades de poissons, une moustache d’otarie, une murène tapie. On flotte, on plane, on tombe, en suivant la ronde silhouette du scaphandrier, en découvrant son visage derrière un corail, une fenêtre de galion, une ville engloutie et ses animaux cellules, des spirales géométriques. Comme une plongée aux origines de la vie, plutôt qu’un voyage au centre de la Terre.

Littérature
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