Le 6 février de la droite copéiste

Après la manifestation anti-mariage pour tous du 26 mai, Alain Lipietz analyse l’influence de la position de l’Église sur le discours extrémiste de la droite.

Alain Lipietz  • 30 mai 2013
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Le 6 février de la droite copéiste
© **Alain Lipietz** est ancien député européen, économiste, membre d’Europe Écologie-Les Verts. Photo : VENANCE/afp

Le 6 février 1934, les ligues factieuses manifestaient en masse et attaquaient la chambre des députés, temple des turpitudes. « Comparaison n’est pas raison », mais « qui ne connaît pas son passé est condamné à le revivre »  (cf. ma tribune parue dans Politis le 18 avril). La mobilisation de la droite au nom de valeurs « au-dessus des lois » (la nation, la race, la famille, l’ordre naturel…) est un des grands classiques des périodes de crise. La grande différence, c’est que l’émeute de 1934 a déclenché l’unité du Front populaire et préparé sa victoire de 1936. Aujourd’hui, la gauche, Front de gauche inclus, occupe « déjà » la totalité des pouvoirs politiques. C’est cette majorité qui devra gagner face à la crise, ou perdre en 2017.

La droite le sait. Une partie attend son heure, l’autre veut reprendre le pouvoir tout de suite. Elle rêve de son 6 février, unissant droite et extrême droite : « Marcher séparés et frapper ensemble. » C’est la ligne Copé, qui, avec un énorme succès quantitatif, a réussi mieux qu’un baroud contre la loi Taubira, au nom des « valeurs sacrées ». En l’occurrence : l’homophobie. Effarés, les plus « hollandais » des écologistes viennent d’adopter la ligne « changeons de cap » à laquelle les exhortaient les plus radicaux. Mais le changement de cap des socialistes (plutôt : le retour au cap pour lequel ils se sont fait élire) demandera plus d’efforts de la base ! En attendant, la droite s’est dotée d’une force de frappe qui pèse déjà sur la suite. Je ne donne pas cher de la PMA pour les lesbiennes, encore moins du droit de vote pour les étrangers. Mais, avant de tourner la page, revenons sur l’acteur décisif qui en fut le premier moteur et en reste l’idéologue : l’Église catholique. Je participais récemment à un débat sur l’Europe agricole, à Mayenne. Un détachement de la « Manif pour tous » vient conspuer le ministre de l’Agroalimentaire, Guillaume Garot. Sur leurs tracts, un bébé dit à une vache : « Moi aussi je veux ma traçabilité. » Rire gras des éleveurs : « Ça fait longtemps que nos bestiaux sont mieux tracés que leurs gosses ! » Le maire de Mayenne et les militantes EELV locales m’assurent qu’ils viennent d’ailleurs, « car les cathos de l’Ouest ont tourné à gauche depuis longtemps ». Je sais bien, et pourtant…

En 1934, il était normal que l’Église, antisémite, antirépublicaine, prévichyste, soutienne les ligues. Mais aujourd’hui ? N’a-t-elle pas rompu avec ce sombre passé ? Que l’Église ait un avis transcendant sur la morale et le fasse entendre à la société, c’est son droit « laïc ». Cet avis de l’Église (ou des autorités « monothéistes » qui l’appuient) n’est d’ailleurs pas tiré de la Révélation, mais, curieusement, d’une « loi naturelle », immanente, où l’amour sert à faire des enfants par le biais d’une copulation. Cette dé-spiritualisation radicale de l’amour (qu’expriment crûment les tracts de Mayenne), au nom d’un biologisme exacerbé, surprend de la part d’une religion dont les inspirateurs (la Sainte Vierge et son Fils) s’étaient affranchis de ce genre de naturalisme. Mais ça la regarde. Sauf que là, comme sur le divorce ou la contraception, l’Église tente d’imposer par la loi à des non-croyants une norme qui n’est justifiée que par sa propre opinion. Un peu comme si la République exigeait des nonnes qu’elles aient une expérience sexuelle… ou qu’elles retirent le voile. D’ailleurs, cette norme ne s’est réalisée pleinement qu’un bref instant en France : les années 1960. Avant, et depuis des siècles, les orphelins de mère morte en couches ou de père victime de guerre étaient la norme. Après 1968, il y aura de plus en plus de « familles recomposées ». En matraquant que les lesbiennes et les gays ne peuvent qu’élever des enfants anormaux, l’Église insulte les parents homos, mais surtout stigmatise les enfants élevés par d’autres que leurs parents biologiques.

La République est donc obligée de subir, au nom de sa laïcité, une mobilisation intrinsèquement anti-laïque. Et pas de la part de l’islam, mais d’une Église dont on pensait qu’elle s’était ralliée à la modernité laïque et républicaine. Ce qui est sans doute encore le cas, mais elle n’a plus de voix pour le dire. J’assistais à l’ordination au diaconat de Gaël Giraud, brillant économiste de gauche, écologiste… et jésuite. La Compagnie de Jésus reste l’aile « encore à gauche » de l’Église. À la sortie, on papote des mouvements dans la hiérarchie des évêques : le départ d’André Vingt-Trois, la nomination de l’archevêque de Marseille à la présidence et de l’évêque de Saint-Denis à la vice-présidence traduiraient une inflexion sociale, et une exfiltration du front copéiste anti-mariage gay… Prions ! Mais, si cela est vrai, ce bloc copéiste est peut-être menacé d’une défection importante quand il s’attaquera à d’autres sujets. Encore faut-il, pour élargir la brèche, que la gauche écologiste et socialiste redevienne ce qu’elle est : le parti des exploités, des discriminés, et pas seulement le parti du modernisme.

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Tribunes

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