Le retour des mobilisations

Depuis l’échec du sommet de Copenhague en 2009, la lutte contre le dérèglement climatique a connu un trou d’air. La rencontre Alternatiba, à Bayonne, inaugure une reprise des actions citoyennes.

Patrick Piro  • 3 octobre 2013 abonné·es

Où sont passés les agendas internationaux inscrivant solennellement la lutte contre le réchauffement planétaire en tête des priorités gouvernementales ? Que sont devenus les collectifs planétaires sonnant le tocsin contre les émissions de CO2 ? Et les voix des climatologues esquissant à longueur d’entretiens des basculements dans l’inconnu « si nous ne faisons rien » ? Depuis l’échec du sommet de l’ONU de 2009 à Copenhague, la bataille climatique semble s’être évanouie dans les limbes, comme passée de mode après avoir suscité un engouement sans précédent des mois durant, portée en France et ailleurs par des centaines de milliers de militants associatifs et politiques, scientifiques, syndicalistes, experts et même des hauts fonctionnaires. « Manque de respect des quelques maigres engagements comme le protocole de Kyoto, faiblesse du droit international, perte d’influence des États-Unis ou de l’Union européenne… Cet échec a révélé un énorme déficit de gouvernance planétaire », analyse Pierre Radanne, consultant international sur les questions climatiques.

Les 5 et 6 octobre, Bayonne sera investie par Alternatiba, la première grande mobilisation citoyenne pour le climat depuis 2009, année du sommet de Copenhague. L’association écologiste Bizi, à l’initiative d’un rassemblement qui a reçu l’appui de 90 organisations et réseaux, a mobilisé un millier de bénévoles pour une manifestation qui verra le centre-ville rendu aux piétons et transformé en exposition de rue. Près de 200 expériences d’alternatives sociales et écologiques ayant trait au climat et à la transition énergétique seront présentées dans une quinzaine de grands secteurs – agriculture et alimentation, habitat, transports, consommation et finance responsables, énergie, alternatives municipales et territoriales... Une centaine de conférenciers s’exprimeront, dont quelques politiques (EELV, Parti de gauche). « Nous concevons Alternatiba comme un point de départ stratégique, explique Jean-Noël Etcheverry, de Bizi, une étape de lancement d’une nouvelle dynamique sur le climat pour provoquer l’adhésion au-delà des cercles convaincus. Nous diffusons un appel, nous invitons chaque réseau à le relayer. À terme, nous souhaitons susciter la naissance de villages alternatifs dans le plus grand nombre de lieux possible, ce qui nous donnera les moyens de peser sur les décideurs. »

Alternatiba, où sont annoncés plusieurs milliers de participants, soignera la dimension festive du rassemblement. « Nous voulons une société certes sobre, mais aussi plus humaine, joyeuse et conviviale », insiste Jean-Noël Etcheverry.

L’amertume post-Copenhague a été d’autant plus vive que les grandes mobilisations avaient essentiellement fondé leur stratégie sur la conviction que l’immense pression internationale avait les moyens de forcer le concert des nations à un sursaut salutaire, débouchant sur un accord ambitieux pour juguler la dérive climatique. « Le processus onusien a achevé de se décrédibiliser à cette occasion », constate Morgane Créac’h, coordinatrice du Réseau action climat (RAC). Et les collectifs créés à l’occasion, qui avaient agrégé des mouvements sociaux au-delà du cercle environnementaliste, ont pour la plupart disparu du paysage. D’autant plus que l’affichage des urgences gouvernementales a vite basculé sous l’empire du marasme économique, submergeant des préoccupations climatiques étiquetées « de long terme ». « Du côté des politiques, l’intérêt est au fond du trou, déplore Mathieu Orphelin, conseiller transition énergétique à la Fondation Nicolas-Hulot (FNH). La grande majorité d’entre eux, au fond, ne croit pas que le dérèglement du climat constitue une crise déterminante pour l’humanité. » Pierre Radanne décèle une défiance similaire dans les milieux économiques et techniques, « où la plupart des décideurs jugent que le pays sera économiquement perdant s’il s’engage dans la transition énergétique. Des études montrent pourtant qu’il y a des dizaines de milliers d’emplois à la clé, une croissance du pouvoir d’achat, une réduction de la dette nationale… La défensive est encore plus marquée à l’échelon international en raison des énormes inégalités entre pays. Les discours économiques émis lors des négociations internationales sur le climat sont d’une pauvreté absolue : le succès y coûte toujours plus cher que l’échec ! »

Alors que les émissions de CO2 poursuivent leur escalade et que les évidences du réchauffement s’accumulent (voir page suivante), le milieu associatif français discerne cependant une opportunité d’installer de nouveau la question climatique dans l’agenda politique : en 2015, la France sera l’hôte du sommet onusien annuel sur le climat [^2], dont l’objectif sera ni plus ni moins d’effacer l’échec de Copenhague en concluant un accord international à la hauteur des enjeux. François Hollande a récemment exprimé, en ouverture de la conférence environnementale du 15 septembre dernier, sa volonté de « réussir » ce pari. « Mais comment relancer la mobilisation ?, s’interroge Manuela Lorand, chargée de communication à la FNH. Les gens sont lassés des messages sur la planète en péril. Il faut réussir à faire passer l’idée que ce qui contribue à contrer le réchauffement est bon pour leur situation économique et sociale. »

Pour son collègue Mathieu Orphelin, François Hollande, qui a désigné la jeunesse comme une priorité, devra s’entendre rappeler la faiblesse de l’éducation sur ces questions. « Qui rappellera à France Télévisions, média de service public, que son cahier des charges lui impose de diffuser aux heures de grande écoute des émissions sur des enjeux tels que le climat ? » Pierre Radanne soulève notamment cette singularité : « Nous savons qu’il faudra diviser les consommations d’énergie par quatre d’ici à 2050 pour éviter l’inconnu climatique. Mais personne n’est capable d’offrir aux gens une vision de l’évolution de leur vie quotidienne. Dans ces conditions, comment réussir ce pari ? » L’expert vient de remettre à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) un scénario décrivant les conséquences concrètes de cette transition pour huit ménages aux profils socio-économiques variés. Cette pédagogie pourrait ensuite être développée à l’échelon de la planète.

La désaffection du public appelle une réorientation des angles d’attaque des actions associatives, convient aussi Morgane Créac’h. « Car l’attente est là : 80 % des Européens se disent sensibles à la question climatique. Notre rôle, aujourd’hui, est de faire connaître les solutions – sobriété et efficacité énergétiques, énergies vertes, matériaux locaux, etc. –, et de déclencher l’adhésion de la population. » C’est l’objet de la rencontre Alternatiba (Alternatives, en basque), qui attend quelque 10 000 participants, du 5 au 6 octobre à Bayonne (64), pour un vaste forum des initiatives de lutte contre le dérèglement. Une première en France à cette échelle, et qui se veut le point de départ d’un nouveau cycle de mobilisations citoyennes prévu pour culminer lors du sommet climat de 2015. « L’échec de la stratégie visant à arracher aux gouvernements des décisions ambitieuses a suscité un fort sentiment d’impuissance dans le public, analyse Jean-Noël Etcheverry, animateur de l’association Bizi, cheville ouvrière bayonnaise d’Alternatiba. Par cette rencontre, nous voulons définir une méthode pour redonner aux gens la capacité de changer les choses. Sans attendre que le gouvernement avance, et pour faire ensuite pression plus efficacement sur les décideurs. »

[^2]: Qui devrait se tenir au Bourget (93).

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