Fiscalité : la volonté floue du gouvernement Ayrault

Le processus de remise à plat de la fiscalité annoncé par Jean-Marc Ayrault et soutenu par François Hollande est strictement délimité. Loin des promesses de la campagne présidentielle.

Thierry Brun  et  Camille Selosse  • 28 novembre 2013 abonné·es

Est-ce une révolution, une réforme fiscale ? Non, une « remise à plat », a tranché Jean-Marc Ayrault dans les Échos du 18 novembre. Il n’est pas question de revenir sur l’austérité budgétaire ni sur la hausse de la TVA, a prévenu le Premier ministre, qui s’est engagé auprès de la Commission européenne à ramener le déficit public de la France sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB) fin 2015 : « Nous allons réaliser 15 milliards d’euros d’économies en 2014, mais il faudra continuer au moins au même rythme en 2015, en 2016 et en 2017. » Voilà qui remet les velléités de réforme fiscale à leur place ! Le 25 novembre, pourtant, s’ouvrait la concertation conduite par un comité de pilotage composé du Premier ministre et de cinq ministres, dont Pierre Moscovici (Économie et Finances) et Bernard Cazeneuve (Budget). Malgré des marges de manœuvre réduites qui éloignent de fait la grande réforme que le candidat Hollande promettait en 2012.

Le Président a prévenu  : « la réforme fiscale » est un engagement qui prendra « le temps du quinquennat ». Ce qui offre l’avantage de geler sur une longue durée l’écotaxe poids lourds, à l’origine de la fronde patronale en Bretagne. Dans l’immédiat, donc, pas de réponse au sentiment de « ras-le-bol fiscal », slogan popularisé par… Pierre Moscovici et les nombreux mouvements anti-impôts, notamment celui des bonnets rouges, jugés « populistes » par huit organisations syndicales réunies le 25 novembre pour échanger sur la « gravité de la situation ». Chose étrange, le premier intéressé, Pierre Moscovici, a été prévenu au dernier moment dela « remise à plat » décidée par Jean-Marc Ayrault. Et des changements de têtes à Bercy ont été décidés depuis l’Élysée et Matignon : Ramon Fernandez et Julien Dubertret, nommés aux directions du Trésor et du Budget durant le mandat de Nicolas Sarkozy, sont priés de laisser la place à des proches du PS, anciens conseillers de Dominique Strauss-Kahn. Une façon de s’assurer de l’appui de ces directions stratégiques en vue de quelques mesures pour 2015.

Encore faut-il que le gouvernement aille au bout de sa démarche. « La remise à plat ne dit pas quel type de fiscalité il faut. Ce que répètent Jean-Marc Ayrault et Pierre Moscovici, c’est qu’il faut faire évoluer le système fiscal français pour diminuer l’imposition des entreprises en général, pas simplement celles soumises à la concurrence internationale », déplore François Delapierre, secrétaire national du Parti de gauche, à l’initiative d’une marche, le 1er décembre à Paris, « pour une révolution fiscale contre les privilèges ». L’économiste Guillaume Etievant, également secrétaire national du PG, affiche son scepticisme : « Cette réforme risque de tomber à plat. Il faudrait aujourd’hui un miracle pour que le gouvernement mette en place une vraie politique de gauche. S’il avait vraiment voulu cette réforme fiscale, il aurait pu la faire il y a longtemps. C’était quand même dans le programme de François Hollande. Jusqu’à présent, le gouvernement a reculé face aux lobbies. Bien sûr, s’il fait vraiment une réforme de gauche, il aura notre soutien. » Même son de cloche chez EELV. Agnès Michel, responsable de la commission économie et social du parti, estime qu’il est «  difficile de s’enthousiasmer pour l’instant. Il y a déjà eu des annonces qui n’ont abouti à rien. Et la stratégie des “petits bouts” ne fonctionne pas. Cependant, nous laissons le bénéfice du doute au gouvernement et l’encourageons dans la voie de la réforme fiscale  ». L’économiste Thomas Piketty, coauteur d’un livre intitulé Pour la révolution fiscale, est plus critique : « Le PS a passé dix ans dans l’opposition et est au pouvoir depuis dix-huit mois, il a donc eu le temps de réfléchir. » La volonté de réforme de Jean-Marc Ayrault demeure assez floue. Lancée en juin par le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, à la demande de plusieurs courants de l’aile gauche du parti et des clubs de la Gauche populaire et de la Gauche durable, une étude sur « l’impact de la fiscalité sur le pouvoir d’achat », prélude à une grande réforme, a été enterrée en septembre par l’exécutif. Et, le 5 novembre, Pierre Moscovici promettait sur BFM TV de ne pas « bouleverser le système ». « S’il s’agit de discuter deux jours avec les partenaires sociaux, on n’aboutira à rien. Il faut une grande consultation avec les différents partis, et cinq ou six mois pour réfléchir à la question », souhaite Agnès Michel. Beaucoup, à gauche, semblent prêts à faire des propositions (voir page 21), même le Parti de gauche, qui a présenté un « contre-budget 2014 » pour « en finir avec l’austérité ». Syndicats et partis soulignent l’urgence de trouver une réponse aux nombreuses revendications. «  C’est le moment d’avoir du courage politique ! », conclut Agnès Michel.

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