« Wajma », de Barmak Akram : Corps défendant

Dans Wajma, Barmak Akram confronte une jeune fille moderne à l’oppression afghane.

Ingrid Merckx  • 28 novembre 2013 abonné·es

Ils sont jeunes, ils s’aiment. Ils se retrouvent un jour d’hiver serrés contre un poêle. Le plan suivant, ils sont à l’arrière d’un taxi et se murmurent un peu ivres : « On n’aurait pas dû… » Une prise de sang plus tard, la sanction tombe : Wajma est enceinte. Il suffit parfois d’une fois, en Afghanistan comme ailleurs. Sauf qu’en Afghanistan la jeune fille risque la prison pour « fornication avant le mariage ». Et Mustafa, son amant de 25 ans, aurait pu être abattu par le père de Wajma sans que celui-ci ne soit inculpé pour meurtre. À condition qu’il les prenne sur le fait. Heureusement, ça n’est pas le cas. Il ne peut donc pas les tuer sans être inquiété.

C’est ce qu’explique un procureur au père qui prend consciencieusement note des solutions qui s’offrent pour laver son honneur – car c’est le sien et non celui de sa fille qu’il défend, jusqu’à l’abjection. Contrairement à la mère, qui, de son côté, enquête sur les possibilités d’avorter, acte illégal. C’est elle le personnage le plus intéressant de ce film sur la condition des femmes dans l’Afghanistan d’aujourd’hui. Elle n’est pas centrale, son portrait est à peine effleuré, mais, quand son mari la sermonne –  « toi et ta liberté !… » –, on devine à quel point elle avait, jusqu’à présent, discrètement gagné le combat des valeurs dans cette famille.

Wajma fait des études de droit, elle porte un foulard négligemment posé sur les cheveux et circule seule en jean dans un Kaboul que l’Occident n’a pas l’habitude de voir : somptueux plans larges sur des campagnes minées, des rues enneigées, des appartements confortables, des immeubles modernes illuminés et des terrains vagues où s’étranglent des chiens de combat. C’est l’autre ressort de Wajma – en dehors du suspens attaché au sort de la jeune fille (Wajma Bahar, qui fait glisser son charisme d’un plan à l’autre). Le spectateur ne cesse de faire mentalement l’aller-retour entre ce qu’il sait de l’Afghanistan et la situation en France, entre ce qui vient renforcer ses préjugés et ce qui vient les contredire. La faiblesse, mais elle confine au parti pris, ce sont les jeunes hommes : l’amant, lâche comme un prototype mondial ; le frère, benêt reproducteur d’inégalités. La force, ce sont ces figures non caricaturales d’amie, de grand-mère et de mère qui ferraillent contre l’oppression. Jusqu’à faire front de leurs corps lors d’une lutte inoubliable dans la neige.

Cinéma
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