Mathieu Hanotin, l’ambition au programme

Après avoir ravi un siège de député à Patrick Braouezec, ce protégé de Claude Bartolone brigue la mairie de Saint-Denis.

Pauline Graulle  • 5 décembre 2013 abonné·es

Un triplé gagnant en Seine-Saint-Denis ? Mathieu Hanotin en rêve. Après une première victoire inattendue aux cantonales de 2008, le tombeur de Patrick Braouezec aux législatives de 2012 s’est donné un nouveau défi : Saint-Denis. Communiste depuis toujours, c’est aussi la seule ville française de plus de 100 000 habitants restée aux mains du PCF. C’est dire si l’enjeu est de taille.

Attablé dans l’un des rares restaurants huppés du centre-ville, le candidat socialiste, 35 ans, devenu en quelques années l’ennemi juré des communistes locaux, défend donc bec et ongles son projet. Oui, la « ville des sans » doit devenir « intense et harmonieuse » (son slogan de campagne). Quitte à en passer par une réorganisation du logement social et par l’augmentation du nombre de policiers municipaux. Oui, les communistes ont fait leur temps et il faut refermer la parenthèse Stade de France. Et non, il n’est pas le lieutenant servile de Bartolone, son père putatif en politique et grand manitou du 93, qui a placé ses pions de la « jeune génération » : Mathieu Hanotin à Saint-Denis, Razzy Hammadi à Montreuil… Lequel ne cesse d’ailleurs de faire sonner le smartphone de son « ami Mathieu » en ce jour où Dominique Voynet va jeter l’éponge. «   La première fois que j’ai rencontré “Barto”, raconte Hanotin entre deux bouchées de pot-au-feu, c’était après mon investiture aux cantonales, en décembre 2007. Il a été protecteur et paternel, mais il m’a laissé faire mes preuves. » Cela tombe bien, car Mathieu Hanotin a de l’ambition à revendre. Sans doute l’admiration qu’il voue à son (vrai) père, ouvrier qualifié devenu DRH à force de cours du soir, y est-elle pour quelque chose. Mais ce joueur d’échecs a aussi le goût du jeu politique. Une appétence qui commence tôt, dans les groupuscules antifascistes de son petit lycée de Compiègne. Bac ES dans une poche, carte du PS (tendance Gauche socialiste) dans l’autre, Hanotin quitte son Oise natale, direction la fac de droit de Strasbourg. Après une implantation ratée en Moselle, le jeune homme décide de tenter sa chance à Paris. Fait ses classes au bureau national de l’Union nationale des étudiants de France (Unef), où il apprend « aussi bien à faire le ménage du bureau qu’à parler avec un ministre ». Fréquente assidûment le courant Un monde d’avance, où il rencontre Pascal Cherki. L’adjoint au maire de Paris chargé des Sports le prend sous son aile et le nomme, en 2004, chargé des Événements de proximité. « Mathieu est d’une grande maturité pour son âge, ce qui est la marque des grands dirigeants, estime aujourd’hui Cherki. C’est un type débrouillard, dynamique, qui va au charbon. Qui est plus pragmatique qu’idéologue. »

Un homme qui n’hésite donc pas à mettre ** ses idéaux entre parenthèses au besoin. Bien que membre d’un courant très attaché à l’union de la gauche, Mathieu Hanotin ne s’est pas fait prier pour venir jouer les fauteurs de troubles dans le paysage politique dionysien –  « les électeurs ont bien le droit d’avoir le choix », plaide-t-il. En tant que vice-président du conseil général du 93 en charge de l’Éducation, il a su, là encore, composer avec son ancrage à gauche. Voir le décrié partenariat public-privé (PPP) qu’il a noué, sous l’influence de Bartolone, avec la société Eiffage pour la rénovation de douze collèges du département :  « J’avais un a priori négatif sur les PPP, mais le contrat que nous avons passé est assez bien ficelé pour qu’il n’y ait aucun risque que le privé vienne s’ingérer », justifie-t-il, comme pour s’en convaincre lui-même. Enfin, l’opposant au pacte budgétaire européen (TSCG) à l’Assemblée nationale sait aussi se montrer un adepte du louvoiement : lui qui a voté contre le cumul des mandats ne compte pas, s’il est élu maire de Saint-Denis, abandonner son fauteuil de député avant 2017. De quoi donner du grain à moudre à ses opposants. Si à peu près tous reconnaissent son professionnalisme et son contact sympathique auprès des électeurs, « une machine électorale bien rodée ne fait pas un élu responsable », remarque sobrement Patrick Braouezec. Didier Paillard, actuel maire de Saint-Denis, évite lui aussi les attaques personnelles *: « Sous ses airs de gendre idéal, Hanotin porte la conception du pouvoir du PS local, fondée sur la concentration des pouvoirs. »* Au département, l’UMP Michel Bluteau décrit « un garçon nonchalant, piètre orateur et souvent en retard », mais qui « connaît plutôt bien ses dossiers ». « Hanotin est arrivé au conseil général avec une bande de jeunes sortis de l’Unef qui avaient décidé de refaire le monde à leur manière, grince Guy Tresallet, ancien secrétaire départemental de la Fédération syndicale unitaire de Seine-Saint-Denis (FSU 93). Il est plein de certitudes et ne veut jamais en démordre. » « Il est volontaire, bosseur, pas mauvais garçon, tempère Michel Hervieu, ancien président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) du 93, mais il ne fait qu’appliquer le programme de Bartolone. »

Bartolone, on y revient toujours. Si ce dernier doit à Hanotin d’avoir remporté un canton décisif dans sa conquête de la présidence du conseil général, Hanotin lui doit presque tout. C’est « Barto » qui lui a offert, en 2008, l’un des plus gros maroquins du département. Lui encore qui lui a soufflé de déménager à Saint-Denis – des fois qu’il y ait un coup gagnant à jouer aux législatives… Lui enfin qui l’a soutenu contre le PS local. Emmenée depuis vingt ans par Georges Sali, la section, accusée de n’être pas assez combative, sera éjectée sans ménagements. Laissant le champ libre au duo Hanotin-Bartolone. C’est donc armé de sa propre équipe, de gros moyens et de beaucoup d’énergie qu’Hanotin entre en campagne contre Braouezec en 2012. Tractage intensif dans la « circo », porte-à-porte lors des froides soirées d’hiver … « Tout le monde pensait que “Braou” gagnerait haut la main », raconte Hanotin. Jusqu’à ce meeting en présence de Vincent Peillon, où « quelque chose s’est passé ». Qui le mènera à l’Assemblée. Aujourd’hui, Mathieu Hanotin le sait, la bataille pour la mairie sera encore plus rude : échaudée, la majorité municipale, sous la houlette d’un Braouezec ragaillardi, a décidé de le combattre pied à pied. Sans parler du contexte national qui souffle des vents contraires. Et puis il y a ce souvenir de la mairie de Saint-Denis, où Hanotin s’était rendu avec ses camarades pour fêter la victoire au soir du second tour des législatives. Un tour de piste triomphal peu apprécié des partisans de Braouezec, qui avaient pris à partie le jeune député. Comme un présage de cette bataille qui s’annonce sans merci.

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