Pascal Canfin : « Le temps de l’opacité est désormais révolu »

Le ministre délégué chargé du Développement, Pascal Canfin, explique ce que change la nouvelle loi d’orientation relative au développement et à la solidarité internationale.

Thierry Brun  • 20 février 2014 abonné·es

Le projet de loi sur la politique de développement et de solidarité internationale de la France a été adopté en première lecture le 10 février, dans le cadre d’une procédure accélérée. La bataille pour améliorer son contenu se poursuivra au Sénat après les municipales. ONG, syndicats et associations de défense des droits de l’homme demandent que le texte soit plus contraignant en ce qui concerne les activités des multinationales dans les pays du Sud. Ministre délégué chargé du Développement, Pascal Canfin défend de son côté un texte inscrivant un changement dans la politique de la France.

En quoi la loi d’orientation est-elle un nouveau départ pour la politique de développement et de solidarité internationale de la France ?

Pascal Canfin :  C’est la première loi de l’histoire de la République sur ce sujet. Nous tournons définitivement la page de l’opacité et du monopole de l’exécutif en matière de développement. Il s’agit d’une avancée démocratique car nous mettons la politique de développement sous le contrôle du Parlement. C’était un engagement de longue date de la gauche, qui n’avait pas été réalisé. C’est désormais chose faite. Et je suis fier d’être celui qui le mène à bien.

S’agit-il de tourner la page de la « françafrique » ?

On tourne la page de pratiques qui existaient il y a encore peu de temps. Je pense à Claude Guéant, qui, depuis l’Élysée, pouvait en toute opacité utiliser les crédits de cette politique de développement pour soutenir tel État ou tel régime. Ce temps-là est révolu. Il n’y a plus de cellule Afrique à l’Élysée.

Quels seront les moyens donnés à la transparence de l’aide publique au développement ?

À l’image de ce que nous avons fait pour l’aide française au Mali depuis septembre 2013, nous mettrons en place d’ici à la fin de l’année 2014 des sites Internet qui détailleront projet par projet ce que l’aide française finance dans les seize pays où nous intervenons le plus. Ces sites seront au standard international de transparence de l’aide au développement. Nous permettrons ainsi aux citoyens de ces pays, aux ONG, aux élus locaux et à la société civile française de suivre ce que nous finançons, avec le calendrier de réalisations. Et nous irons plus loin que le standard international en mettant en place, comme c’est déjà le cas au Mali, un contrôle citoyen de l’aide, avec la possibilité de nous alerter de manière anonyme sur un éventuel dysfonctionnement. Cette transparence constitue un grand progrès en matière de lutte contre la corruption.

Bercy s’est opposé au renforcement de la responsabilité juridique des entreprises françaises. Jusqu’à quel point leurs activités seront-elles encadrées dans les pays du Sud ?

La loi reconnaît la nécessité pour le gouvernement de travailler concrètement à la possibilité d’un régime nouveau de responsabilité sociale et environnementale, ce que l’on appelle le devoir de vigilance. Car un drame comme celui du Rana Plaza, qui a fait plus de 1 000 morts au Bangladesh en avril 2013, montre, s’il en était besoin, que les chartes et les codes de bonne conduite ne suffisent pas. La mondialisation du droit est l’un de mes grands combats. Je suis donc très engagé sur ce sujet, qui, je ne le cache pas, fait débat au sein de la majorité.

Le gouvernement sera-t-il en cohérence avec les orientations du projet de loi dans les négociations prévues avec le Niger et Areva ?

J’ai exprimé début février devant l’Assemblée nationale la position du gouvernement. L’accord entre Areva et le Niger doit refléter un équilibre entre les considérations de viabilité économique de l’exploitation des mines d’uranium et les demandes légitimes du Niger à renforcer ses recettes fiscales pour favoriser son développement. C’est une avancée importante au regard de ce qu’ont pu être les positions de la France sur ce sujet dans le passé.

Le pacte de responsabilité annoncé par François Hollande ne devrait-il pas s’accompagner d’une contrepartie pour les multinationales françaises présentes dans les pays les plus pauvres ?

Cela fait partie du débat. On peut en effet imaginer que la responsabilité sociale et environnementale puisse trouver sa place dans la discussion autour du pacte de responsabilité. Rien n’est cependant arbitré puisque les processus sont en cours. En tout cas, certains députés écologistes et socialistes proposent que cette responsabilité sociale et environnementale mondiale au Sud soit l’une des contreparties figurant dans le pacte.

Que devient la programmation budgétaire dans la loi ?

Nous avons inscrit dans la loi le fait que la France maintienne son engagement de principe à consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement (APD). Nous n’y sommes pas, mais l’APD est passée, entre 2012 et 2013, de 0,45 % à 0,47 %. Nous connaissons une stabilisation, ce qui, compte tenu du contexte budgétaire, est un choix politique fort consistant à ne pas faire payer notre crise aux plus pauvres de la planète, à celles et ceux qui vivent – ou survivent – avec moins d’un dollar par jour. À titre d’exemple, nous nous sommes réengagés pour les trois prochaines années dans le Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose, dont nous sommes le deuxième contributeur mondial à hauteur de plus d’un milliard d’euros.

Parmi les orientations, les financements innovants comme la taxe sur les transactions financières (TTF) ont leur place. Celle-ci sera-t-elle étendue, notamment aux produits financiers dérivés ?

Selon la Commission européenne, les recettes de cette taxe des onze pays qui ont donné leur accord politique pour l’appliquer peuvent s’élever jusqu’à 35 milliards d’euros par an. Je me bats pour que l’assiette des transactions couvertes soit la plus large possible et qu’elle inclue le maximum de produits dérivés. Je défends le principe qu’une part significative des recettes de cette taxe soit affectée au développement et à la lutte contre le changement climatique. C’est la position de la France, répétée à plusieurs reprises par le Président. C’est un combat déterminant et il ne faut pas céder au lobbying de l’industrie financière.

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