Ska Keller, la nouvelle tête européenne des Verts

À 32 ans, cette eurodéputée allemande mène avec José Bové la campagne écologiste pour le scrutin du 25 mai. Son ambition : « changer le monde avec des petits pas et de la persévérance ».

Rachel Knaebel  • 8 mai 2014 abonné·es

Elle s’appelle Franziska mais se fait appeler « Ska ». Elle a 32 ans et conduit, en tandem avec José Bové, la campagne des Verts pour les élections européennes du 25 mai. L’eurodéputée allemande Ska Keller a remporté aux côtés du Français la primaire organisée sur Internet par le parti écologiste en janvier. Malgré son jeune âge, Ska a déjà un solide parcours politique derrière elle.

Elle siège au Parlement européen depuis 2009, après avoir été porte-parole de la fédération des jeunes Verts européens et présidente de la section écolo du Brandebourg, sa région natale, dans l’est de l’Allemagne. «  J’ai commencé à m’engager politiquement à l’âge de 13   ans. Dans la protection des animaux et dans une association de jeunes contre le racisme, raconte-t-elle dans un café de Berlin où nous la rencontrons, et là où j’ai grandi, le racisme était un gros problème. » L’eurodéputée vient de Guben, une ville de 20 000 habitants située à deux pas de la frontière polonaise. Elle y a connu huit ans de RDA puis la recrudescence de violences néonazies dans les années 1990. « À Guben, il n’y avait pas de Verts à l’époque, dit-elle, sinon je les aurais rejoints plus tôt. » Elle a finalement rallié les écologistes en 2001, et y a rapidement fait son chemin en parallèle de ses études. Sur les bancs de la fac, dans la capitale allemande et à Istanbul, la jeune femme a étudié le turc et les mondes musulman et juif. Elle parle cinq langues en plus de l’allemand. « En français, je peux discuter politique, mais pas des choses de la vie quotidienne », regrette-t-elle. Et comme pour son collègue vert et allemand du Parlement européen, Jan Philip Albrecht, 31 ans, l’anglais va de soi. «  C’est devenu très vite évident pour nous, avec Ska, qu’on parlerait en anglais au sein du groupe, pour pouvoir discuter plus directement sans l’appareillage technique de la traduction simultanée, explique le député. C’est un détail, mais ça montre que la génération de jeunes eurodéputés arrivés en 2009 est habituée à passer outre cette barrière de la langue et à voir l’Europe comme quelque chose de naturel, un espace de vie en commun évident.  »

Ska Keller fait définitivement partie de ceux-là. La route de Guben à Strasbourg semblait pour elle toute tracée. « Ska a grandi dans cette expérience concrète de la proximité avec l’Est. Et elle a toujours associé politique européenne et politique régionale », rapporte Axel Vogel, ancien collègue dans la région du Brandebourg. Il y a coprésidé avec l’eurodéputée la section régionale écologiste. «  Il y a encore dix ans, Ska était une punk. Elle a fait un long chemin depuis  », raconte l’écologiste. Aujourd’hui, elle a certes adopté une allure plus passe-partout, mais elle ne porte pas le tailleur pour autant. Elle n’en a pas besoin pour être sûre de sa légitimité. « Elle a toujours eu une représentation claire de son chemin. Elle sait où elle va, assure Axel Vogel. Quand elle est arrivée à la tête de la section dans le Brandebourg, elle a apporté sa jeunesse, évidemment. Mais elle y a surtout fait du bon boulot et assuré sa mission avec brio. Elle travaille de manière très réaliste.  » C’est dans cette perspective pragmatique que Ska Keller exerce son mandat au Parlement européen, souvent perçu comme un mastodonte de bureaucratie. « Quand on discute de textes de loi, on se dispute pour des virgules, c’est comme ça. Ça n’a pas été une surprise. Comme porte-parole des jeunes verts européens, je connaissais déjà le travail des parlementaires. » À Strasbourg, l’élue s’occupe de politique migratoire et de commerce international. À ce titre, elle suit les négociations du TTIP, le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement entre l’UE et les États-Unis. « Les questions commerciales, c’était un nouveau monde pour moi, admet-elle. J’étais d’abord dans la commission sur le développement. Le problème est que la commission développement prend des décisions progressistes, mais qui sont ensuite balayées par les autres commissions. Et dans la politique commerciale internationale, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas et qui ont beaucoup à voir avec le développement. C’est pour ça que j’ai changé. » Dans sa déclaration d’intentions publiée sur son site web, l’eurodéputée écrit : « Avec mon travail, j’espère changer le monde. Mais ça passe souvent par des petits pas et de la persévérance. » Plus terre à terre que ses aînées, Ska Keller ? Peut-être. Pour Axel Vogel, «  Ska a un profil un peu particulier dans le paysage des Verts allemands. Par exemple, elle est mariée, et ça depuis un moment. Moi, j’ai 57   ans et je ne l’ai jamais été. Ce qui est plutôt la norme parmi les Verts de ma génération.  »

De la campagne en cours, l’eurodéputée verte dit qu’elle se passe « bien ». «  Avec José Bové, on est des personnes très différentes, avec des expériences et des parcours différents. Je pense que c’est vraiment un avantage pour la campagne.  » Pour son collègue Jan Philip Albrecht, «  c’est sans aucun doute un atout de mettre en avant quelqu’un qui montre une autre image de la politique européenne   ». Dans leur quotidien de parlementaires, Jan Philip Albrecht et Ska Keller tentent de « trouver des formats qui rendent les thèmes européens plus proches des gens », explique la députée. Après chaque session, les deux trentenaires tournent par exemple une vidéo où ils racontent, debout dans un couloir, ce qu’ils y ont débattu et voté, les enjeux et les problèmes. Et postent le tout sur leur site Internet.

Quelle est la vision politique de Ska Keller ? « Une grande priorité est de rendre l’Europe plus démocratique. En lançant une convention sur l’avenir de l’Union, à laquelle les citoyens pourraient participer, et pas uniquement les députés. Les résultats de cette convention seraient soumis à un référendum européen. Nous voulons aussi renforcer l’initiative citoyenne européenne. » « Aujourd’hui, poursuit-elle, nous avons un instrument qui oblige la Commission et le Parlement à examiner les demandes qui ont recueilli au moins un million de signatures. Mais, pour les obtenir, les obstacles sont nombreux et les sujets qui peuvent faire l’objet d’une telle initiative sont limités. Par exemple, on ne peut pas en lancer une sur une sortie du nucléaire dans toute l’Europe. Pourquoi ? On doit supprimer de telles barrières. » Concernant son engagement premier, la politique migratoire, l’eurodéputée veut « supprimer Dublin II ». Selon ce règlement, le pays européen qui a laissé entrer le demandeur est seul responsable de sa demande d’asile. La France et l’Allemagne renvoient ainsi des réfugiés vers l’Italie ou la Grèce, principaux pays d’arrivée. « Nous voulons que les réfugiés puissent demander l’asile dans le pays dont ils parlent la langue, par exemple, ou là où ils ont de la famille, indique Ska Keller. Et nous voulons des possibilités d’accès légal au système d’asile, avec, entre autres, des visas humanitaires. Et aussi des possibilités légales d’immigration, pas seulement pour les personnes en fuite, mais aussi pour ceux qui veulent, tout simplement, chercher ailleurs une vie meilleure. » La jeune colistière de José Bové fait preuve d’une détermination aussi pugnace que son aîné dans ses choix et convictions.

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