« On me regarde, on me dévisage, on me juge »

À l’occasion d’une exposition sur l’islamophobie, des habitants du Val-de-Marne livrent leur incompréhension.

Louise Pluyaud (collectif Focus)  • 5 juin 2014 abonné·es
« On me regarde, on me dévisage, on me juge »
© Photo : ALAIN LE BOT / PHOTONONSTOP / AFP

Leurs couleurs criardes se détachent de façon abrupte sur la blancheur imparfaite des murs. Dans la salle municipale d’Ivry-sur-Seine (94), des couvertures de presse dispersées de tous côtés interpellent. Leurs titres, empreints de préjugés racistes, heurtent plus encore le regard. Dans l’optique d’illustrer un débat sur l’islamophobie organisé vendredi 23 mai par le mouvement Jeunes communistes (JC) de la ville, une exposition de unes chocs a été mise en place. «   La peur des musulmans sévit de plus en plus dans notre pays, explique Jalys Chibout, responsable départemental des JC du Val-de-Marne. Il nous semblait nécessaire d’en parler et surtout de casser certaines idées reçues sur l’islam que des médias s’efforcent de véhiculer. » Dans une France en pleine crise économique et identitaire, la recette est souvent la même : une femme voilée en couverture, un titre sensationnaliste pour faire peur et faire grimper les ventes.

Il est 20 heures. Dans la salle, une trentaine de personnes sont venues assister à la projection du reportage de France 2 la Tentation islamophobe, diffusé en novembre 2012 dans l’émission « Complément d’enquête ». «   Nous avons choisi de projeter ce reportage en particulier, précise Naïlia Chaal en lançant le film, car il prouve que, même s’ils abordent le thème de l’islamophobie, les journalistes restent généralement à la surface et s’empêtrent dans les clichés stigmatisants. » Par exemple, pour désigner les Français nés sur le territoire, ils emploient le terme « Français d’origine », un manque de neutralité selon Jalys Chibout. «   Les médias font bien la différence entre les Français d’origine et les Français d’origine étrangère, s’exaspère-t-il. Moi qui suis né en France, cela me pose un vrai problème. Mon grand-père est né en Algérie, mais moi je suis français tout court, pas français d’origine algérienne. »

Des soupirs viennent ponctuer le silence lorsque le reportage s’attarde sur le racisme anti-blancs. Réminiscences d’une fumeuse histoire de pain au chocolat et d’un prétendu débat sur l’identité nationale. Enfin, un préjugé finit d’indigner la salle : les femmes musulmanes qui portent le voile ne seraient ni féminines ni féministes ! Dans le public, trois femmes portent le hijab. L’une d’elle prend la parole et raconte ce que le reportage ne dit pas : «   Aujourd’hui, il est difficile d’être une femme et encore plus une femme musulmane qui affiche sa religion. On ne veut pas de moi dans l’espace public. Dans le métro, je suis la star, mais pas dans le bon sens du terme. C’est très embêtant, on me regarde, on me dévisage, on me juge. » Un homme se lève pour témoigner à son tour : «   Parce que j’ai les traits d’un Maghrébin, on m’assimile tout de suite à un musulman. Les non-pratiquants payent la double peine, celle de ne pas être nés Français et celle de ne pas être musulmans. Car, en plus du racisme, nous sommes aussi victimes des intégristes. »

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