Un coup de jeune…

Il n’est pas impossible qu’un nouveau rapport de forces soit en train de s’installer, après trente ans d’une écrasante domination libérale.

Denis Sieffert  • 4 février 2015 abonné·es
Un coup de jeune…
© Deux rendez-vous à ne pas oublier. Ce samedi 7 février, l’assemblée annuelle de notre association Pour Politis (voir p. 29). Et le mercredi 18 février, notre débat dans le cadre de la semaine anticoloniale (voir ci-contre).

Ce n’est sans doute pas le plus important, mais tout de même, ça fait du bien de voir des nouvelles têtes, un autre style et des dégaines inhabituelles dans le petit théâtre de la politique. Ce conseil des ministres grecs (presque) sans cravate, ce Yanis Varoufakis qui balade sa chemise sortie du pantalon dans toutes les capitales européennes, ce Pablo Iglesias, leader de Podemos, avec sa queue-de-cheval, ça donne un sérieux coup de jeune. D’autant plus qu’il ne semble pas y avoir une once de démagogie chez ces personnages qui ont tout simplement choisi de rester eux-mêmes, sans afféterie. Si je m’attarde un instant sur ces considérations superficielles, c’est que je veux voir une corrélation entre ces changements futiles et la promesse de bouleversements réels.

L’avenir dira si ces politiques résisteront aux appâts du pouvoir, contrairement à tant d’autres avant eux. En tout cas, la première semaine d’Alexis Tsipras à la tête du gouvernement grec le laisse supposer. On a aimé sa détermination. Un élu qui, dans les premières vingt-quatre heures de son mandat, fait ce qu’il avait promis, on en avait perdu l’habitude. En remisant des projets de privatisations préparés par la droite, en augmentant le salaire minimum, en réembauchant des fonctionnaires licenciés, le nouveau Premier ministre a lancé un message de fermeté à ses interlocuteurs européens. Il a surtout parlé à son peuple de sorte que les petites gens qui ont été saignées à blanc par la politique d’austérité voient immédiatement le changement. Le message vaut aussi pour nos concitoyens, pour nous-mêmes, pour toute cette Europe qui a pris l’habitude de ne plus savoir d’où viennent les coups et de ne pas connaître ceux qui les assènent. En quelques jours, un autre rapport à la politique s’est institué. Tsipras a choisi d’honorer les engagements pris devant les électeurs, plutôt que ceux de ses prédécesseurs devant la troïka. Avec ses hôtes européens, il ne fait pas semblant d’être d’accord quand il ne l’est pas. Il assume une part d’affrontement, sans non plus le surjouer. Pas étonnant donc que le Premier ministre grec se soit fait quelques ennemis. À Berlin, à Bruxelles, on fait la grimace, tandis qu’à Paris, on arbore le sourire crispé de ceux qui ne peuvent pas vraiment dire ce qu’ils pensent.

Le Premier ministre a aussi des nouveaux « amis ». Il a reçu le soutien moral de Barack Obama à qui, il est vrai, ça ne coûte rien. Voilà qui est plutôt bien. Pour autant, tout n’a pas été parfait dans ces premiers jours. On ne reprochera pas à Alexis Tsipras son alliance avec le parti des Grecs indépendants, souverainiste et anti-immigrés. La chose est déplaisante, mais la mécanique institutionnelle l’y contraignait. Cette rencontre de circonstance n’a d’ailleurs pas empêché une secrétaire d’État de promettre la naturalisation rapide de plusieurs centaines d’immigrés. Plus troublants sont les signes de sympathie adressés à Moscou dans le conflit ukrainien. Il ne faudrait pas que le nouveau Premier ministre grec cède à l’axiome calamiteux « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Très fâcheuse aussi est la relégation des femmes, dont aucune n’est ministre à part entière. Nos jeunes sont parfois capables d’archaïsme !

Quoi qu’il en soit, on attend la suite avec impatience. Évitons d’aller trop vite en besogne, mais il n’est pas impossible qu’un nouveau rapport de forces soit en train de s’installer, après trente ans d’une écrasante domination libérale. L’immense rassemblement de ce samedi, sur la Puerta del Sol à Madrid, est également porteur de cet espoir. Mais tout commence à Athènes. Le gouvernement grec joue son destin. Et le peuple grec, quelque chose comme sa survie. L’Europe joue aussi très gros. C’est la question de sa nature qui est posée. Le débat tourne autour d’un mot, toujours chargé d’ambiguïtés : réforme. Les libéraux les plus magnanimes veulent bien admettre un effacement d’une partie de la dette grecque. Ils se disent prêts à tolérer un rééchelonnement. Mais il y a une condition sur laquelle ils ne cèdent pas, sans quoi ils ne seraient plus vraiment des libéraux, ce sont les réformes de structures. Genre loi Macron en France. Nos Grecs eux aussi parlent de réformes. Mais ce ne sont pas exactement les mêmes. Pas question de privatiser ou d’achever de casser ce qui reste encore de structures sociales. Ils veulent une grande réforme fiscale qui permette une juste redistribution au sein de la société. Tout est là ! Europe sociale contre Europe libérale. On y revient toujours. Mais si l’affaire tourne mal, si l’intransigeance de Berlin et de Bruxelles, et l’indécision de Paris précipitent la Grèce dans un drame humanitaire, c’est l’idée européenne qui sera emportée.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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