Grève à la BNF, contre la loi des «marchands d’esclaves»

Les agents d’entretien payent cash les mesures d’économie des entreprises publiques. Après Radio France et le ministère des Finances, ils se mobilisent à la Bibliothèque nationale de France.

Erwan Manac'h  • 10 avril 2015
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Grève à la BNF, contre la loi des «marchands d’esclaves»

Les cadences qui s’accélèrent, Sirifa Bamide (notre photo) les éprouve au coeur et aux lombaires. Chaque matin, de 6 h à 11 h 30, elle monte aux étages d’une des quatre tours de la Bibliothèque nationale de France (BNF), lave les toilettes et dépoussière les bureaux. Ils étaient trois pour ce travail il y a trois ans. Deux aujourd’hui. « On n’a plus le temps de faire notre boulot. On court tout le temps. Mon cœur ne suit plus » , raconte la quinquagénaire, fatiguée mais loin d’être abattue. Comme la plupart de ses collègues, Sirifa Bamide travaille à temps partiel. À trente heures par semaines, payées 950 euros. Pas de quoi vivre sereinement avec un enfant de 17 ans à charge.

Comme elle, quarante-deux agents de nettoyage de la BNF, sur quarante-quatre au total, se sont mis jeudi en grève reconductible. Ils réclament une augmentation de leur temps de travail pour pallier les départs non remplacés de vingt agents en trois ans, la revalorisation de leur prime de fin d’année à hauteur d’un treizième mois et des hausses de salaire.

Un appel d’offres tous les quatre ans

L’entretien est sous-traité par la BNF depuis son ouverture et soumise à un nouvel appel d’offres tous les quatre ans, comme prévu par la loi des marchés publics. En dix-neuf ans d’existence, l’institution a changé quatre fois de prestataire. Chaque fois, comme l’exige la loi, le nouveau sous-traitant conserve les salariés du chantier. Mais la BNF a profité en 2012 de l’appel d’offres pour revoir son contrat à la baisse (-15 %). Onet, la multinationale des services qui a remporté le marché cette année là, a donc répercuté la chasse aux coûts sur une de ses seules variables d’ajustement, la masse salariale. Les salariés ont sauvé leur prime de fin d’année par la grève et ont empêché un premier plan de dix licenciements, mais ils n’ont pas pu freiner la réduction progressive de l’équipe, par succession de départs négociés.

"La BNF nettoyage en grève, les économies sur notre dos ça suffit!" - EM.

La BNF tente de réduire la mobilisation à « un conflit interne à Onet » et assure que le périmètre de son contrat a été réduit, ce qui ne devrait entraîner aucune surcharge de travail pour les salariés restés en poste. Une version contredite par les grévistes, qui assurent que, passant moins souvent dans les bureaux, leur charge de ménage s’en retrouve décuplée et que la pression de la hiérarchie suit crescendo .

Réponse du directeur des services techniques de la BNF, Pierre-Henry Colombier :

« Je ne suis pas certain que ce raisonnement puisse s’appliquer, mis à part pour les sanitaires, qui n’ont pas été touchés » par les baisses de moyens.

« Marchands d’esclaves »

C’est un schéma classique dans le secteur. Les frais de ménage sont tirés à la baisse pour ajuster des budgets toujours plus serrés dans les entreprises publiques. Chaque appel d’offres ouvre une concurrence au moins-disant sur les conditions de travail et de salaire.

« Ces entreprises de nettoyage sont des marchands d’esclaves , tranche Pascal Bakalarz, syndicaliste à Solidaires finances publiques. Les salariés n’ont aucune garantie, ils sont mal traités et le travail effectué ne rentre bien souvent même pas dans le cahier des charges. »

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’aggrave dans plusieurs entreprises et a donné lieu à plusieurs mouvements de grève :

-# Les agents d’entretien de Radio France étaient à l’initiative du mouvement de grève qui dure depuis la mi-mars. 20 % du ménage est encore assuré par des salariés de Radio France. La direction du groupe voulait les faire descendre au sous-sol, pour attribuer le nettoyage des bureaux à un sous-traitant. La grève a fait reculer la direction. Les vingt-huit agents restent aujourd’hui grévistes en solidarité avec les autres salariés de Radio France.
-# Vingt-cinq agents d’entretien du ministère des Finances se sont mis en grève le 11 mars pour des revendications similaires à celles de la BNF. L’entreprise prestataire, TFN Atalian, n’a pas fait de geste significatif pour améliorer la situation des salariés, qui travaillent deux à trois heures par jour. « En baissant sans cesse les contrats de nettoyage sur les marchés publics, le donneur d’ordre exerce une pression continue sur les employés », dénonce Danielle Cheuton, militante CGT finances publiques, engagée aux côtés des salariés grévistes
.
-#En septembre 2014, les femmes de chambre de deux prestigieux hôtels parisiens obtenaient une augmentation de salaire au prix de plusieurs jours de grève, sur fond d’augmentation des cadences de travail. Là encore, elles ont affaire à un sous-traitant.


Lire > Remue-ménage au palace, les femmes de chambre sont en grève

Ces mobilisations restent pourtant marginales, car les salariés des entreprises sous-traitantes se retrouvent souvent sur des chantiers de petite taille, incapables de faire valoir leurs droits. Il faut bien souvent la rencontre avec des salariés du site, embauchés par le donneur d’ordre sur d’autres métiers, pour faire éclore une mobilisation syndicale. C’est le cas à la BNF, où les salariés d’Onet et de la BNF sont réunis au sein de Sud Culture, ou avec la CGT Finances publiques pour la grève au ministère des Finances.

La direction d’Onet n’a, pour l’heure, rien proposé aux salariés et ne souhaite pas répondre à nos questions. Les salariés se disent prêts à tenir et espèrent entamer lundi un véritable dialogue avec leur employeur.

Travail
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