Le silence coupable de la France

Nul ne sait ce qui germerait sur l’échec du gouvernement Tsipras. On voit bien qu’un peu partout en Europe des extrêmes droites sont en attente du coup d’après.

Denis Sieffert  • 1 juillet 2015 abonné·es

L’histoire de la gauche française est jalonnée de renoncements. On n’a pas oublié la conversion de Guy Mollet à la guerre coloniale totale en Algérie. Plus loin, on se souvient de la « non-intervention » en Espagne, en juillet 1936, alors que les Républicains appelaient la France du Front populaire à l’aide face à l’insurrection militaire. Bien sûr, la crise grecque n’est pas la guerre d’Espagne, ni la bataille d’Alger. Le sang ne coule pas, et les créanciers d’Athènes ont des apparences de démocrates honorables. Mais nul ne peut exclure aujourd’hui que l’affaire tourne au désastre humanitaire. Un « 1929 » grec. Il sera trop tard alors pour regretter le silence de la France tout au long de ces journées décisives. On pourra tout juste ajouter le renoncement de François Hollande à la liste. Au moins Blum avait-il hésité, lui. On dit même que le dilemme fut si douloureux qu’un jour il éclata en sanglots devant quelques-uns de ses ministres. On sait ce qui advint : le général Franco prit le pouvoir, et l’Espagne s’enfonça dans une nuit longue de quarante ans

François Hollande versera-t-il quelques larmes, un jour, taraudé par le remords de celui qui n’aura pas levé le petit doigt pour la Grèce ? C’est peu probable. Car il y a entre Léon Blum et lui une grande différence. L’un était « de tout cœur » du côté de la gauche espagnole. Alors que l’autre penche résolument du côté des créanciers de la Grèce. Pour François Hollande, pas de dilemme, tout au plus de l’embarras. Mais la gravité du moment ne doit pas être sous-estimée. Nul ne sait ce qui germerait sur l’échec du gouvernement Tsipras et sur l’humiliation du peuple grec. Nul ne connaît l’ampleur de la catastrophe qui s’ensuivrait. On voit bien qu’un peu partout en Europe des extrêmes droites sont en attente du coup d’après. Sans gloser sur d’aussi funestes perspectives, il faut dire que la démocratie est déjà aujourd’hui rudement mise à l’épreuve. Les créanciers ont voulu faire comme si les élections grecques du mois de janvier n’avaient pas eu lieu, et comme si le nouveau gouvernement ressemblait trait pour trait à l’ancien. Dans l’esprit du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, Tsipras devait devenir un cynique comme un autre. Un candidat qui fait des promesses de gauche pour s’empresser de ne pas les tenir. C’est un jeu si habituel que l’on est proprement sidéré dans les hautes sphères européennes et financières d’avoir face à soi un Premier ministre qui croit à ce qu’il dit et qui, comble d’irresponsabilité, nous fait le coup de la démocratie !

D’où les patientes leçons de cynisme que les uns et les autres ont administrées au jeune chef du gouvernement grec. Christine Lagarde l’invitant à devenir « adulte »  ; Jean-Claude Juncker lui tapotant paternellement la joue devant les caméras ; et les technocrates de l’Eurogroupe livrant à la presse les propositions grecques corrigées de rouge comme une mauvaise copie de collégien. Mais voilà que ces gens tombent sur un os. Le jeune homme n’est pas de leur famille. Et l’Europe tout entière se retrouve face à l’épreuve du référendum. Dans une ultime manœuvre, les dirigeants européens, François Hollande en tête, ont fait mine de s’y résigner, mais pour mieux en détourner le sens. Il s’agirait, à les entendre, d’un référendum pour ou contre l’euro, et même pour ou contre l’Europe. Ou encore, il s’agirait d’interroger le peuple sur un texte « inachevé », alors que les conditions posées par les créanciers sont archi-connues : attaques contre les retraites, augmentation de la TVA et, surtout, refus de s’engager sur une restructuration de la dette. Ce dernier point est d’ailleurs la preuve du caractère idéologique du combat mené par les créanciers, puisque tout le monde sait que cette restructuration est inévitable. Sans doute les Européens et le FMI attendent-ils pour l’admettre d’avoir face à eux un interlocuteur plus docile. Faire tomber Tsipras d’abord – ou le briser – et renégocier la dette après.

Pris en étau entre des doctrinaires libéraux et la gauche de son parti, qui lui reproche déjà d’avoir trop fait de concessions, Tsipras a choisi de consulter les électeurs. Un défi démocratique risqué. On ne regrettera jamais assez qu’il n’y ait pas eu une parole forte de la France en faveur de la Grèce. Elle aurait modifié le cours de l’histoire. Au lieu de ça, nous n’avons eu droit qu’à une vague médiation pour « ramener Athènes à la table des négociations ». Mais quel peut être le sens de cette démarche si rien de nouveau n’est dit sur le fond ? Suffisait-il que François Hollande joue le «  good guy  » au côté du « méchant » Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, sans jamais se démarquer du discours d’Angela Merkel ? La responsabilité de la France sera jugée en regard des conséquences de la crise sociale qui menace. Les files d’attente qui se formaient lundi devant les banques rappelaient des images sépia de sinistre mémoire. Celle de la Grande Dépression. On ne se pressait plus alors devant des banques pour faire provision de billets, mais devant l’aide d’urgence pour un bol de soupe.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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