Programmes scolaires : Les profs en perdent leur latin

Nouveaux programmes, organisation par cycles, enseignement moral « post-Charlie » : autant de questions parfois polémiques qui déboulent dans la rentrée sans préparation ni débats suffisants.

Ingrid Merckx  • 2 septembre 2015 abonné·es
Programmes scolaires : Les profs en perdent leur latin
© Photo : DUFOUR/AFP

Le Conseil supérieur des programmes (CSP) doit rendre sa copie à la mi-octobre. En cette rentrée 2015, à part la maternelle qui découvre des programmes neufs, tout le monde travaillera encore un an sur les programmes (Darcos) de 2008. Pourquoi alors ce remue-ménage autour des « nouveaux programmes » ? En fait, les principales discussions sur leurs contenus ont eu lieu au printemps, en plein débat sur la réforme du collège. Les deux sont liés : la réforme des collèges, avec la création des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), entraîne un allégement des programmes par discipline ; et le regroupement des programmes par cycles de trois ans induit une restructuration générale. Le 9 avril, le CSP a adopté un ensemble de « projets de programmes » qu’il a ensuite soumis aux enseignants jusqu’au 11 juin. Depuis, il prépare une nouvelle mouture censée tenir compte de leurs remarques. Des polémiques émergent et prennent un tour politique, le contenu des enseignements n’étant jamais complètement neutre. Exemple le plus évident : l’enseignement moral et civique (EMC). Autre nouveauté de la rentrée 2015 : avec les parcours d’éducation artistique et culturelle (Peac, non obligatoires), sont prévues 36 heures d’EMC à partir du CP, en remplacement de l’instruction civique. Un bulletin officiel est sorti le 25 juin et puis… « Plus rien ! On commence l’année sans savoir ce que l’on doit faire dans chaque classe, aucune indication horaire, aucune mise en pratique sur le site Éduscol, témoigne un enseignant de collège. Ils se sont précipités après les attentats de janvier, alors qu’il aurait fallu attendre septembre 2016. » Ce nouveau module est en effet né de l’émotion post- Charlie et s’accompagne de l’intervention possible dans les écoles d’une « réserve » de citoyens censés transmettre aux élèves les valeurs de la République. Mais qui ? Quand ? Comment ?

« Quelques pistes intéressantes (débats réglés, mythologie), commente le Snuipp, à propos de l’EMC, mais dans l’ensemble des programmes flous et peu aboutis.   » Le syndicat du premier degré a demandé qu’ils soient revus et n’entrent en vigueur qu’en 2016 : « Comment évaluer “prendre soin de soi et des autres”, “partager et réguler des émotions”  ? Que signifie “exercices de hiérarchisation et de clarification des valeurs”  ? » Le 10 avril, le Conseil supérieur de l’éducation n’a d’ailleurs pas validé ce texte. « Élément du dispositif “Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République”, l’EMC remplace dès 2015 l’éducation civique au collège et l’ECJS [éducation civique, juridique et sociale, NDLR] au lycée, tout en encourageant des approches interdisciplinaires, explique le Snes, syndicat du second degré. Les personnels n’ont pas été formés. Aucune ressource pédagogique n’est à ce jour disponible. » Les thèmes pour les classes de 3e ne devraient être définis que courant septembre. Surtout, les programmes interviennent alors que les heures d’enseignement sont déjà réparties. La série technologique intègre ces programmes mais pas les heures pour les faire.

Les lycées devront donc piocher dans les autres heures de cours ou renoncer à cet enseignement. Le 26 août, un quatrième membre du CSP a démissionné sur une assemblée qui en compte dix-huit. La députée Les Républicains Annie Genevard a choisi le jour de la conférence de presse de rentrée de la ministre pour annoncer son départ. Elle fustige la refonte simultanée de tous les programmes et dénonce la mainmise idéologique de Najat Vallaud-Belkacem sur cette instance théoriquement indépendante. Selon elle, la lettre de saisine de la ministre contenait déjà le « découpage en tranches » du latin et du grec. Dans un entretien au Figaro, Annie Genevard lui reproche une vision « essentiellement sociale » de l’école, « au détriment de ce qui fait sa force et sa légitimité : la transmission des savoirs  […]. D’où les réformes qui visent à raboter tout ce qui constitue l’excellence, tout ce qui fait de la différence… », ajoute-t-elle en référence aux suppressions des classes européennes et bilangues. Mais elle s’offusque aussi de l’ouverture du concours des enseignants en Seine-Saint-Denis aux recalés de l’année. Une invention 2015 pour colmater les béances dans ce département sous-doté, et qui indigne bien au-delà des Républicains.

La conception par cycles – le troisième étant à cheval sur l’école et le collège : CM1, CM2, 6e – inquiète : « Risque accru d’incohérence dans les apprentissages en raison du niveau de concertation qu’implique une telle structuration », résume le site reformeducollege.fr, conçu par des enseignants. Quid des élèves qui déménagent en cours de cycle ? Quelle concertation quand un collège peut intégrer des élèves venant de sept écoles différentes ? Excepté en histoire-géo, les repères annuels disparaissent et la littérature se trouve privée de programme spécifique : plus d’œuvre, d’auteur ou d’époque : « Un roman comme les Misérables ne sera plus étudié pour lui-même  […], mais pour illustrer un des thèmes évoqués », souligne le site, qui dénonce une « rupture avec la tradition humaniste ». Épopées, documentaires, presse, récits, poèmes, bandes dessinées ou œuvres audiovisuelles devant se côtoyer dans un grand « relativisme » accusé de mettre sur le même plan Marivaux et Titeuf, Tolkien et Game of Thrones. Le plus étonnant étant peut-être que ces « projets de programmes » ont été jugés illisibles par les enseignants : manque de clarté dans la forme, manque d’exigence sur le fond. Un comble.

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