COP21 et état d’urgence : Dérèglement démocratique

Le gouvernement a annulé les manifestations de rue qui devaient rallier des dizaines de milliers de personnes lors de la COP 21. Mais les militants sont bien décidés à faire entendre leur voix.

Patrick Piro  • 25 novembre 2015 abonné·es
COP21 et état d’urgence : Dérèglement démocratique
© Photo : MÉNIGAULT/citizenside/AFP

«Que serait la France sans ses musées, sans ses terrasses, sans ses concerts, sans ses compétitions sportives ? », lançait François Hollande lors du congrès des maires de France, cinq jours après les attentats de Saint-Denis et de Paris. Et sans ses manifestations ? Les militants de la cause climatique n’ont pas entendu le Président insérer cette citation dans son appel à ce que la vie reprenne « pleinement ». Dès le lundi suivant les attentats du vendredi 13, brandissant l’état d’urgence, le Premier ministre Manuel Valls envisageait de réduire aux seules négociations entre délégations officielles les événements de la COP 21 [^2]. Une tactique de communication pour faire passer la pilule auprès de la société civile, à l’initiative de dizaines d’événements prévus sur le dérèglement climatique ? Reçus par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et chef de file gouvernemental pour la préparation de la COP 21, les responsables des organisations apprenaient que les événements à ciel ouvert, les plus compliqués à sécuriser, étaient menacés (voir page 20). Confirmation de la préfecture de police : exit la grande marche parisienne du 29 novembre ainsi que les mobilisations du 12 décembre, en particulier une convergence de chaînes humaines vers la place de la République à Paris. Événement « statique », le Village mondial des alternatives, sur plus de deux hectares du centre-ville de Montreuil (93), les 5 et 6 décembre, restait en balance au début de cette semaine. Le mouvement Alternatiba, organisateur, envisageait de rejeter les conditions posées par la police si elles se révélaient trop contraignantes. État d’esprit : « On ne lâche rien ! », signe un communiqué d’Alternatiba au lendemain des attentats (voir l’entretien page 18).

L’instauration de l’état d’urgence a déclenché la rébellion immédiate des organisations les plus revendicatives, qui voient dans les interdictions une intention clairement politique. « Elles renforcent le sentiment de dépossession et la confusion entre sécurité et ordre sécuritaire, la démocratie est menacée », s’élève Attac. Analyse des militants : ce sont les durs du gouvernement – Valls et Cazeneuve – qui ont imposé leur arbitrage à Fabius et à Royal, a priori plus disposés à lâcher du lest, ont constaté les organisations. « Nous avions proposé que la mobilisation du 29 novembre se tienne dans un stade, où la sécurité est plus facile à assurer : refusé sans explication, rapporte Eros Sana, du mouvement 350.org, à l’initiative d’une campagne mondiale de désinvestissement de la filière charbon. C’est à géométrie variable. » Fin de semaine dernière, le championnat de France de football était pourtant autorisé à reprendre son cours.

Le couperet des interdictions a provoqué des remous au sein de la Coalition Climat 21 [^3], reconnaissent mezzo voce plusieurs de ses membres. Certaines organisations n’ont pas envisagé de contester la décision gouvernementale, redoutant, que dans ce contexte hypersensible, des appels à la désobéissance ne détournent un public patiemment remobilisé sur les questions climatiques. Le communiqué publié par la Coalition reflète le délicat équilibre entre ses pôles les plus distants. Revendiquant le maintien de l’ensemble des mobilisations prévues, la plateforme se contente d’affirmer sa conviction que « la COP 21 ne peut pas se dérouler sans la participation ni sans les mobilisations de la société civile en France », sans pour autant condamner l’état d’urgence. « Il y a eu du tirage, reconnaît Eros Sana. Mais la Coalition ne s’est pas disjointe, personne n’a annulé sa participation, syndicats français compris, ce qui n’était pas évident. » La Coalition Climat 21, dans sa position collective, a choisi de s’adapter « sans aucunement renoncer à occuper l’espace public », résume Juliette Rousseau, coordinatrice. L’ONG Avaaz propose de figurer la marche annulée du 29 novembre par une installation artistico-militante sur le parcours, à l’aide de chaussures, d’expressions graphiques et musicales. « Plus de 2 700 événements sont organisés dans une soixantaine de pays cette fin de semaine-là, et il n’y aurait rien à Paris ? Impensable ! Il ne faut surtout pas abdiquer notre voix, défend Marie Yared, chargée de campagnes France pour le mouvement, lequel revendique 4,3 millions de sympathisants en France. D’autant plus qu’une estimation de la police, conservatrice, prévoyait plus de 200 000 manifestants. »

Quant à la mobilisation du 12 décembre, elle serait reconfigurée en une multitude de petites manifestations. Accompagnant cette position commune, chaque organisation fourbit ses propres initiatives. « Nous repensons l’ensemble de nos projets », indique Eros Sana, précisant que la désobéissance civile est de tradition dans les actions pour la justice climatique. Alternatiba a lancé un appel au maintien des mobilisations, signé par près de 20 000 personnes lundi dernier. « Nous appelons à manifester partout en France le 29 novembre, et à un rassemblement de masse le 12 décembre, en assumant pleinement notre responsabilité vis-à-vis de la sécurité, indique Txetx Etcheverry, animateur du mouvement. Il y aura des actions légales… ou pas. » Pour fixer l’enjeu, Eros Sana se remémore l’affaiblissement du mouvement altermondialiste à la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York. « Quoi qu’il arrive, il est impératif de réussir cette mobilisation. »

[^2]: Du 30 novembre au 11 décembre, au Parc des expositions du Bourget.

[^3]: Regroupement de 130 organisations, une première en France.

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