Fin du pacte de stabilité : une bonne nouvelle, mais…

La mise en cause du pacte de stabilité par le gouvernement est une occasion pour la gauche de réclamer de nouvelles règles budgétaires et de défendre le pacte social.

Thierry Brun  • 20 novembre 2015
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Fin du pacte de stabilité : une bonne nouvelle, mais…
© Photo: STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

François Hollande a surpris son monde lors de son discours devant le Congrès le 17 novembre à Versailles. Le chef de l’Etat dit « assumer » le surcroît de dépenses qu’entraîne la création de 8 500 postes supplémentaires dans la police, la gendarmerie, la justice et les douanes car « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité » et de croissance, pilier du sacro-saint traité budgétaire européen [^2]. Un credo politique repris par Manuel Valls, pour qui les engagements européens de la France « seront forcément dépassés » , car les moyens supplémentaires « ne se feront pas au détriment des autres budgets » , a expliqué le Premier ministre.

Face aux tragiques attentats du 13 novembre, l’exécutif a décidé, en quelques jours, d’envoyer le pacte de stabilité aux oubliettes. Un geste politique qui renvoie à la promesse non tenue du candidat socialiste à la présidentielle de 2012. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande n’a-t-il pas affirmé qu’il voulait renégocier ce traité, cher à l’Allemagne ? En avril 2012, le candidat va jusqu’à menacer de le bloquer s’il « ne contient pas de mesures de croissance » .

Pourtant, une fois élu, le Président ratifie sans état d’âme un traité identique à la virgule près, sachant que cela signifiait la mise en œuvre de politiques d’austérité. Et la mise en œuvre d’une règle « d’or » d’équilibre budgétaire dénoncée par un grand nombre d’économistes et quelques institutions internationales…

« Si cette crise catastrophique peut servir à quelque chose, c’est de rouvrir la discussion sur les règles budgétaires pour les changer , soutient Benjamin Coriat, membre du collectif des économistes atterrés[^3], qui ajoute :

« Monsieur Schäuble (ministre allemand des Finances) a dit qu’il n’y avait rien à faire pour les Grecs parce qu’il y avait des règles budgétaires à appliquer. J’entends que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité, cela veut dire qu’il y a des situations dans lesquelles on peut repenser ces pseudo règles budgétaires que Monsieur Schäuble a imposées » .

Gaël Giraud, économiste au Centre d’économie de la Sorbonne, espère que « la crise des dettes souveraines européennes, alliée à celle des migrants et, à présent, à celle du terrorisme djihadiste permettra de remettre en cause l’imaginaire qui accompagne ce pacte de stabilité. A quand un “pacte social européen” ? » .

La gauche a-t-elle pour autant de quoi se réjouir de ce tardif virage politique ? Dans un tweet, le fondateur du Parti de gauche et député européen Jean-Luc Mélenchon a loué la « très bonne remise en cause de la politique budgétaire » . « Il y a comme un aveu dans la déclaration du président de la République : la haute qualité, pourtant nécessaire, des services publics est incompatible avec les logiques d’austérité actuelles et avec le pacte budgétaire européen » , réagit Pierre Laurent, secrétaire national du PCF[^4].

Cependant, le communiste prévient François Hollande que « le pacte social et républicain devrait l’emporter en toutes circonstances face au pacte de stabilité » .

De son côté, la CGT a pris note « que le Président annonce dans son discours, ne plus considérer le pacte de stabilité comme un horizon indépassable » . La confédération exige « un pacte de progrès, de démocratie sociale, d’éducation, de sécurité et de paix pour toutes les populations » , car, écarter « les formes de radicalisation passe avant tout par le respect des droits fondamentaux d’accès à l’éducation, à la culture, à la santé et à l’emploi » .

A l’opposé, le président du Medef Pierre Gattaz a promptement dénoncé la mise en cause du pacte budgétaire européen : « Il faut absolument continuer l’optimisation de la sphère publique. On ne peut pas laisser partir à vau-l’eau les dépenses publiques » , a lancé le patron des patrons. Même son de cloche à droite. L’ancien Premier ministre François Fillon craint « que cela ne soit vraiment une astuce politicienne de François Hollande » . Le député Les Républicains explique que « l’on n’a pas besoin de rompre le pacte de stabilité pour 500 millions (sic) » .

Au Sénat, lors de la discussion générale sur le projet de loi de finances pour 2016, le ministre des Finances Michel Sapin a balayé les critiques de la droite et du Medef, assurant que le renforcement des moyens de sécurité et de défense entraînera la « dégradation du déficit » public. Au total, la mobilisation des nouveaux moyens « conduira à une dépense supplémentaire sur le budget de l’État de l’ordre de 600 millions d’euros en 2016 » , a indiqué le ministre des Finances, cadré par François Hollande, assurant qu’il n’est pas question « d’augmenter les impôts des Français ou de réduire les crédits des autres ministères » .

Mais la promesse du Président et de l’exécutif s’arrête là. On a compris que le gouvernement ne touchera pas au crédit d’impôt sur la compétitivité et l’emploi (CICE) et au pacte responsabilité, qui ont entraîné une « baisse des prélèvements de 24 milliards d’euros entre 2013 et 2015 » , en faveur des entreprises, a déclaré Michel Sapin, ajoutant que cette baisse atteindra 33 milliards d’euros d’allègements pour les entreprises en 2016.

Le pacte de sécurité ne l’emporte donc pas sur cette politique économique qui a la faveur de Bruxelles. Ces allègements massifs profitent aux grandes entreprises et n’ont pas démontré leur efficacité. Et les effets dévastateurs des politiques d’austérité sur le pacte social se font toujours sentir. Le gouvernement a pris soin de limiter la mise en cause du pacte de stabilité, pour lui préférer un pacte de sécurité à tout prix plutôt que de répondre à l’urgence sociale.

[^2]: Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire (TSCG) signé par les chefs d’Etat de l’Union européenne en mars 2012.

[^3]: Sur France Inter le 20 novembre.

[^4]: Dans un grand entretien publié par l’Humanité du 19 novembre.

Politique Monde
Temps de lecture : 5 minutes
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