Rapport Oxfam : « Une économie au service des 1% »

« L’exacerbation des inégalités économiques est néfaste pour l’ensemble de la population, car elle sape croissance et cohésion sociale. »

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 18 janvier 2016
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Rapport Oxfam : « Une économie au service des 1% »
© Photo : Contraste à Djakarta (BAY ISMOYO / AFP)

Dans un monde où le patrimoine des 1 % des plus riches dépasse désormais celui de l’ensemble du reste du monde, un monde où soixante-deux personnes seulement détiennent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale, Oxfam alerte, à quelques jours du Forum économique de Davos – la rencontre annuelle des élites mondiales de la finance et de la politique, sur les effets économiques et politiques de cette situation.

Dans un nouveau rapport intitulé « Une économie au service des 1% », Oxfam France dénonce l’accroissement des inégalités extrêmes. Si le constat n’est pas nouveau, le fossé causé par ces inégalités est « plus abyssal que jamais » dénonce l’organisation.

« Depuis le début du XXIème siècle, la moitié la plus pauvre de l‘humanité a bénéficié de moins d’1 % de l’augmentation totale des richesses mondiales, alors que les 1 % les plus riches se sont partagés la moitié de cette hausse. La France n’échappe pas à cette tendance puisque les 10% les plus riches ont accaparé 54% de l’augmentation des richesses entre 2000 et 2015. »

D’après les calculs d’Oxfam, soixante-deux personnes détiennent en effet les mêmes richesses que les 3,5 milliards de personnes les plus pauvres de la population mondiale. Comme si cela ne suffisait pas, ces mêmes soixante-deux personnes ont vu leur richesse croître de 44%. À l’inverse, les pauvres sont encore plus pauvres ; leur richesse ayant diminuée de 41%.

Dans sa lutte contre la pauvreté et les inégalités, et dans le cadre de sa campagne pour une justice fiscale, Oxfam se questionne sur le monde dans lequel nous vivions : « Nous avons créé un modèle économique qui favorise les 1% les plus riches. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? »

Les travailleurs sont ceux qui profitent le moins de la croissance, démontre sans surprise le rapport tandis que les détenteurs de capitaux bénéficient « d’un taux de rendement du capital (intérêts, dividendes, etc.) constamment plus élevé que le taux de croissance économique ». À ce titre, Oxfam appelle à une transparence complète et dénonce l’évasion fiscale pratiquée par ces détenteurs de capitaux :

« À ce stade c’est un réseau de paradis fiscaux toujours plus élaboré et soutenu par un panel de gestionnaires de patrimoine qui garantit que cet argent reste hors de portée des citoyens ordinaires et de leurs États. D’après une récente estimation, 7.600 milliards de dollars, soit plus que le PIB combiné de l’Allemagne et du Royaume-Uni, sont actuellement détenus sur des comptes offshore par des particuliers. »

Placé sur ces comptes afin de pourvoir bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse, cet argent pourrait permette aux États de disposer de 190 milliards de dollars de plus par an si des impôts étaient payés.

Inégalités et optimisation fiscale

Les pays aux revenus les plus inégaux sont également ceux où les inégalités entre les hommes et les femmes sont les plus marquées. D’ailleurs, seulement neuf femmes font parties des soixante-deux personnes les plus riches au monde. De la même manière, les plus pauvres sont les plus exposés au changement climatique, bien que le rapport souligne que les 1% les plus riches de la population mondiale consomme 175 fois plus que les 10 % des plus pauvres. Là encore sans surprise, seuls les travailleurs les plus hauts placés dans l’entreprise voient leur salaire augmenter.

Au delà de ces constats, Oxfam accuse « le réseau mondial de paradis fiscaux et l’institutionnalisation de l’optimisation fiscale » d’illustrer « notre modèle économique actuel, biaisé dans l’intérêt des puissants », et de priver « les États des recettes fiscales nécessaires pour investir dans des services publics de qualité tels que la santé et l’éducation ».

« Les fondamentalistes de marché sont parvenus à imposer une légitimité intellectuelle selon laquelle une fiscalité allégée pour les entreprises et les particuliers fortunés est nécessaire pour stimuler la croissance économique et qu’elle est salutaire pour tous. […] Cela pousse indirectement les États qui ne sont pas des paradis fiscaux à alléger leur fiscalité sur les entreprises et sur les particuliers fortunés et ainsi à s’embarquer dans un implacable « nivellement par le bas ». »

Ces pratiques, qui n’ont pour conséquences que de creuser davantage les inégalités économiques sont également considérées par l’International Bar Association « comme une violation des droits humains ». Bien que le nombre de personnes vivant en dessous du seuil d’extrême pauvreté entre 1990 et 2010 ait diminué de moitié, 200 millions de personnes supplémentaires auraient pu sortir de cette pauvreté selon Oxfam : « Un chiffre qui aurait même pu atteindre 700 millions si les pauvres avaient davantage bénéficié de la croissance économique que les riches. »

Selon Oxfam, les exemples de l’industrie textile et du secteur pharmaceutique illustrent un modèle économique volontairement inégalitaire et corrompu qui « ignore la majorité de la population mondiale ».

Publié pour le Forum économique de Davos qui se tient du 20 au 23 janvier, le rapport Oxfam vise à interpeller « les gouvernements, entreprises et élites économiques pour qu’ils s’engagent à mettre fin à l’ère des paradis fiscaux qui alimentent les inégalités mondiales et empêchent des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté » , selon les propos de Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam International. L’organisation appelle donc les dirigeants mondiaux à réagir à l’issue de cette prochaine réunion et réclame des engagements pour lutter contre les paradis fiscaux.

Oxfam demande également que les dirigeants politiques mettent un terme au nivellement vers le bas en matière de fiscalité des entreprises. « Les multinationales et les grandes fortunes ne suivent pas les mêmes règles que l’ensemble de la population, refusant de payer les impôts dont la société a besoin pour fonctionner. Le fait que 188 sur 201 grandes entreprises soient présentes dans au moins un paradis fiscal montre qu’il est temps d’agir » a d’ailleurs expliqué Manon Aubry, responsable plaidoyer Justice fiscale et inégalités d’Oxfam France.

Le 20 janvier, jour de l’ouverture du Forum économique de Davos, Oxfam lance une pétition internationale afin de faire entendre ces revendications :

  • Une transparence fiscale complète pour connaître l’activité réelle des entreprises dans les paradis fiscaux et les impôts qu’elles paient (le reporting pays par pays public) ;

  • La fin des incitations fiscales qui alimentent une concurrence fiscale dommageable, préjudiciable à tous ;

  • Le développement d’une approche commune de taxation des multinationales au niveau européen pour qu’elles paient leurs impôts là où elles ont une activité économique réelle ;

  • Revoir les règles de gouvernance internationale sur la fiscalité pour que tous les pays puissent s’exprimer sur un pied d’égalité.

Économie
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