Briser les plafonds de verre

Les ultimes renoncements du gouvernement augurent un possible basculement de l’hégémonie à gauche lors de la présidentielle. A condition de ne pas se perdre dans des primaires stériles.

Francis Daspe  • 2 avril 2016
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Briser les plafonds de verre
© Photo: Joël Saget / AFP

Francis Daspe est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée)
Un sondage Ifop/Fiducial réalisé il y a peu pour Sud Radio est de nature à rebattre de manière radicale les cartes de la prochaine élection présidentielle. Dans la configuration d’une candidature d’Emmanuel Macron soutenue par le Parti socialiste, couplée à une candidature d’Alain Juppé sans la présence du centre de François Bayrou (première partie du scénario de plus en plus plausible avec les fiascos et les impasses du duo de l’exécutif), on assiste à une révolution copernicienne au sein de la gauche. Jean-Luc Mélenchon dépasserait Emmanuel Macron, avec 15% contre 14% à l’ancien banquier d’affaires. Le scénario proposé devient en effet de plus en plus plausible : les fiascos (réforme constitutionnelle sur la déchéance de nationalité) et les impasses (projet de loi travail El Khomri) du duo de l’exécutif François Hollande et Manuel Valls ouvrent la voie au recours Macron, le surplace de Nicolas Sarkozy rend évident l’effacement de François Bayrou au profit d’Alain Juppé.

Un plafond de verre qui enserrait jusqu’alors la gauche de gauche est en passe de voler en éclats. Il était alors communément admis, depuis la présidentielle de 1969 et le score de Jacques Duclos, que l’hégémonie à gauche était un monopole du candidat socialiste, quel qu’il soit. La bascule peut désormais se réaliser, aux antipodes du prétendu vote utile. La possibilité d’un tel retournement s’explique par le fait que la gauche des idées ne coïncide plus avec la gauche des partis. Dans les faits, c’était vrai depuis assez longtemps, avec le tournant de la rigueur de 1983 pour lequel on n’utilisait pas encore le mot austérité. Dans les mentalités, l’inconscient collectif populaire persistait à encore assimiler le Parti socialiste, pourtant devenu solférinien, à la gauche. Les ultimes renoncements du triumvirat d’airain Hollande / Valls / Macron font sentir leurs effets. A multiplier les renoncements politiques, les contresens idéologiques et les saillies à répétition contre le patrimoine de la gauche, une rupture qualitative décisive est en train de se produire.

Il ne s’agit pas de maladresses tactiques ou d’amateurisme. Il faut y voir une orientation stratégique pleinement assumée de solfériniens décomplexés. François Hollande n’a-t-il pas expliqué la défaite de Claude Bartolone aux dernières régionales d’Île-de-France par son alliance au second tour avec les listes Front de Gauche et des écologistes, estimant que l’espace de la victoire se trouvait en direction du centre et au-delà ? Les citoyens voient désormais leurs yeux se dessiller : les forces gouvernementales actuelles ne font plus une politique de gauche. Et surtout, elles ne représentent plus la gauche. Ni de gauche, ni à gauche, ni la gauche. Nous ne sommes plus en 2012 où le barrage à la réélection de Nicolas Sarkozy suffisait à masquer l’indétermination du projet politique. Peut-être nous objectera-t-on de nuancer l’ampleur de la rupture au motif qu’Emmanuel Macron n’est qu’une caricature de la gauche. Mais au final François Hollande et Manuel Valls n’en sont-ils pas devenus, entraînant l’ensemble du Parti socialiste avec eux ? Faut-il attendre qu’ils entraînent avec eux dans le précipice l’ensemble de la gauche et de ses idéaux ?

Pour l’heure, les derniers gardiens du temple solférinien en déroute ne tiennent que par ceux qui veulent réanimer le cadavre de la gauche plurielle par d’improbables primaires, entre frondeurs réduits à la figuration de couteaux sans lame et adeptes des zigzags ayant vue sur les législatives qui suivront. Outre l’audace, les ingrédients nécessaires pour renverser la table à gauche sont connus : l’exigence républicaine et l’ambition de transformation sociale, toutes deux menacées par des régressions comme la déchéance de nationalité et le projet de loi travail El Khomri. Les réactions populaires contre ces projets témoignent de l’heureuse persistance dans les mentalités collectives de la force propulsive de ces idéaux. Contre les renoncements et les reniements en cascade, exigence et ambition sont à mettre résolument à l’ordre du jour.

Pour la gauche fidèle à ses missions historiques, l’enjeu de la présidentielle sera de briser ces plafonds de verre. La tâche immédiate consiste à créer les conditions de gagner d’abord le premier tour. Pas de se perdre dans de stériles primaires, pas de se projeter dans un imprévisible second tour avec en ligne de mire un front républicain factice, pas de s’aventurer dans les méandres des législatives à la recherches de rentes à préserver. Une candidature du style de celle proposée par Jean-Luc Mélenchon, dès lors qu’elle se montre en capacité d’opérer le grand basculement à gauche comme l’indique ce sondage, est de nature à ranimer les consciences, à rallier les abstentionnistes ou les désorientés. Une clameur jaillira alors pour dire que cela devient possible. Car la force va à la force. Ne l’oublions pas, ne nous trompons pas. Et ne ratons pas l’occasion qui s’offre à nous de briser ces plafonds de verre.

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