« Ce sont les médias, et non les idées, qui font l’élection »

Pour le politologue Mathieu Vieira, les partis politiques se sont éloignés de la sociéte civile et ne remplissent plus leurs fonctions traditionnelles, mais ils continuent d’occuper le paysage.

Pauline Graulle  • 13 juillet 2016 abonné·es
« Ce sont les médias, et non les idées, qui font l’élection »
© Photo : THOMAS SAMSON/AFP

Les partis politiques, convertis à la démocratie d’opinion, ont creusé leur propre tombe, estime le chercheur Mathieu Vieira. Mais paradoxe : la vie politique française ne laisse pas non plus leur chance aux outsiders…

Est-il possible d’envisager aujourd’hui un monde politique sans partis ?

Mathieu Vieira : Pour moi, c’est le même débat que de savoir si les classes sociales existent encore. D’ailleurs, le débat sur la crise des partis politiques n’est pas nouveau : il remonte au début du XXe siècle. Sur le fond, il existe en effet des éléments qui vont dans le sens d’une obsolescence des partis de masse comme forme canonique : la fin des grands récits idéologiques du fait de la « victoire » du néolibéralisme, ou la montée en puissance de la démocratie d’opinion – qui implique plus de personnalisation et de médiatisation de la vie politique. Il y a aussi, depuis les années 1990, l’avènement du « parti cartel » : le financement public des partis politiques les a transformés en agences semi-publiques, plus proches de l’État que de la société civile. Du coup, ils ne jouent plus le rôle de socialisation qui leur était jadis dévolu.

Avec quelles conséquences ?

Cette mutation a eu deux conséquences majeures : l’affaiblissement de l’ancrage social et de l’encadrement par les partis, et l’affaiblissement de leur fonction programmatique. D’une part, les partis politiques ont de moins en moins de ramifications dans la société civile : on assiste à une véritable rétraction des milieux partisans, c’est-à-dire des liens que pouvaient tisser les partis politiques avec les syndicats, les associations d’éducation permanente, culturelles, sportives, etc. Pour le dire autrement, les partis ont désormais beaucoup de mal à « faire société ». Ils peinent aussi à capter les nouvelles revendications et les nouveaux répertoires d’action issus des mouvements sociaux tels que l’altermondialisme, les Indignés, Nuit debout…

D’autre part, l’élaboration du programme est tombée très bas dans la hiérarchisation des priorités que se donnent les partis aujourd’hui. Ils ont tendance à sous-traiter cette question à des think tanks (comme Terra Nova à gauche ou l’Institut Montaigne à droite) ou à produire des idées calquées sur les notes des hauts fonctionnaires. Aujourd’hui, peu d’hommes politiques de premier plan s’intéressent à la question programmatique autrement que par le prisme des sondages. D’autant qu’ils considèrent que ce sont les médias, et non pas les idées qu’ils défendent, qui font l’élection.

Le rejet des partis politiques est-il également dû à une évolution des attentes des citoyens ?

Oui, bien sûr. La figure du militant ouvrier dévoué, de l’engagement presque religieux, c’est fini ! Mais cette dévalorisation de l’activisme militant est en partie la faute des partis eux-mêmes, qui estiment désormais que passer dans les médias est plus important que d’avoir des militants.

En outre, la professionnalisation de la vie politique n’a rien arrangé : les partis sous-traitent certaines activités militantes, comme le tractage ou la pose d’affiches, à des entreprises privées. Plus l’appareil se professionnalise, moins les militants sont encadrés, et moins ils acquièrent, via le parti, des savoir-faire, des savoir-être et une vision du monde. La rétribution symbolique n’existant quasiment plus, ils n’ont plus grand-chose à gagner à être encartés. Alors ils partent.

Concernant la rétribution matérielle, il n’y a guère plus que le Front national qui puisse faire espérer des postes à foison…

Il est sûr que les bons scores du FN font miroiter beaucoup de postes à pourvoir et attirent des militants – même si un plafond de verre existe. Mais le FN est aussi l’un des seuls partis gardant une fonction d’encadrement. Dans le Nord de la France, il a fait de sa présence sur le terrain une véritable stratégie visant à étendre ses zones de force. Il a pris la place, restée vacante, qu’avait autrefois la gauche sur ce territoire.

Jean-Luc Mélenchon semble avoir compris lui aussi qu’il y avait un manque et a lancé son mouvement des Insoumis…

Dans sa campagne de 2012, déjà, Mélenchon a eu cette intuition qu’il fallait se réapproprier ce qui fait le cœur du militantisme : le rassemblement sur les places, la valorisation des activités militantes de base. Il y avait cette envie de contrecarrer la professionnalisation de la politique et de recréer du lien avec les mouvements sociaux. Le mouvement des Insoumis s’inscrit dans cette lignée, même si, à mon avis, on reste dans la tradition bonapartiste ou gaulliste, avec cette idée qu’on peut se passer des alliances, des corps intermédiaires, et s’adresser directement au peuple.

Jusqu’à présent, ce genre de mouvement n’a jamais vraiment bien marché en France. Pour qu’il fonctionne, il faudrait qu’il y ait, comme en Espagne, un lien fort avec le mouvement social. Et puis les institutions françaises ne laissent pas de place aux outsiders. Le jeu politique est très fermé, en particulier en raison de son mode de scrutin.

Regardez Ségolène Royal, qui s’était lancée dans la présidentielle de 2007 avec pour slogan la « démocratie participative » et l’idée d’aller capter les électeurs à l’extérieur des organisations traditionnelles : ça a fonctionné un temps, mais elle n’a pas eu les soutiens suffisants à l’intérieur de son parti pour l’emporter. Même chose pour le MoDem de François Bayrou. Sans changement structurel des institutions, il n’y aura pas de grand changement de l’offre.

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