Non, le FN n’a pas changé…

L’université d’été du parti d’extrême droite visait une nouvelle fois à donner une image « apaisée ». Mais les charges contre les immigrés et les musulmans sont toujours les mêmes. Reportage

Nina Hubinet  • 21 septembre 2016 abonné·es
Non, le FN n’a pas changé…
© Photo : Francois PAULETTO/CITIZENSIDE/AFP

Dans un couloir de l’immense hangar qui abrite le rassemblement du Front national, un peu à l’écart de la foule, une jeune fille enlève ses sandales pour les remplacer par des escarpins rouges qu’elle vient de sortir de son sac. Les talons hauts mettent en valeur sa silhouette cintrée dans une petite robe grise. Une touche de glamour à l’image des -« Estivales de Marine Le Pen », le nom que le FN a donné à son université d’été : les deux jours de rassemblement des cadres et des militants du parti à Fréjus, le week-end dernier, semblent avoir été placés sous le signe de la séduction. À l’entrée de l’espace Caquot, l’ancien hangar aéronaval qui abrite les scènes et les stands des délégations régionales du FN, l’affiche de l’événement annonce la couleur. On y voit un coucher de soleil sur la mer, une image qui correspond bien au slogan utilisé ces derniers mois par Marine Le Pen, « La France apaisée », et dont le logo du parti est absent. « Pour arriver à plus de 50 % des voix à cette élection, il va falloir rassembler, dépasser le cadre du Front national », affirme ainsi David Rachline, le jeune sénateur-maire de Fréjus, intronisé directeur de campagne lors de ces Estivales.

Premier atout charme du « nouveau » Front national : Marion Maréchal-Le Pen. La jeune femme à la chevelure toujours aussi blonde et au bronzage soigné joue parfaitement son rôle de « petite fiancée » du FN. Elle fait le tour des stands des délégations régionales, qui donnent des airs de mini-salon de l’agriculture aux « Estivales ». La petite-fille de Jean-Marie Le Pen sourit, goûte un morceau de gâteau basque sur le stand Aquitaine, pose pour une photo avec les militants, sourit encore, boit un verre de cidre avec les élus de Bretagne, serre des mains… Et ne manque pas, à chaque déplacement, de provoquer un attroupement et des exclamations : « Regarde, c’est Marion ! »

Mais lorsque « Marion » prend la parole, au cours de la table ronde « Sécurité et -justice : en finir avec le terrorisme islamiste », l’heure n’est plus au sourire ni au ton suave. « Il faut rappeler le lien entre le terrorisme et l’immigration », martèle la députée du Vaucluse, ajoutant que le FN entend restaurer le droit du sang. Elle s’insurge contre ce qu’elle qualifie de « colonisation visuelle du territoire » français par les femmes voilées. Et affirme que le « salafisme avance de façon considérable partout sur le territoire », face à des militants et sympathisants saisis d’effroi. « Toutes les lectures de l’islam ne sont pas compatibles avec la République », enchaîne Marion Maréchal-Le Pen. Comme une réponse à Marine Le Pen, qui disait quelques jours plus tôt sur TF1 : « Je crois que l’islam est compatible avec la République », surprenant plus d’un militant FN.

Car les thèmes traditionnels du parti d’extrême droite ne sont pas absents aux -Estivales de Fréjus. Au contraire. Lors d’une table ronde intitulée « Immigration et communautarisme : la France au bord de l’explosion », le député européen et président du groupe FN au conseil régional de Normandie, Nicolas Bay, s’enflamme. « Les étrangers qui n’ont pas vocation à rester en France doivent rentrer dans leur pays, et en famille ! Il faut appliquer le regroupement familial… dans l’autre sens ! » Un « ouais ! » puissant monte de la salle en réponse, prolongé par des applaudissements fournis. « La place des clandestins, ce n’est pas dans des camps payés par les contribuables parisiens, c’est dans les charters ! », continue celui qui vient d’être nommé directeur de la campagne des législatives de 2017, déclenchant une nouvelle ovation.

Au-delà des réactions enthousiastes du public face aux orateurs – le slogan « on est chez nous ! » fusant à plusieurs reprises au cours du week-end –, les questions d’immigration et d’identité nationale sont au cœur des préoccupations de nombre de militants FN venus à Fréjus. Mégane, 23 ans, vient juste de recevoir sa carte du parti, sous les applaudissements d’un petit groupe de militants. Elle vit à Figanières, un village du Var, où elle « fait la plonge » dans une clinique. « Le FN est le seul parti qui fait passer en priorité la France et les Français. On ne doit pas oublier notre culture et nos valeurs », insiste la jeune fille, qui pense qu’une tentative de remplacer la culture française par autre chose est à l’œuvre. « Je votais déjà FN depuis plusieurs années, mais j’ai décidé de m’engager vraiment après les attaques terroristes des derniers mois. »

Ce levier de recrutement que constituent les attentats pour le FN, tous les militants en sont conscients. « Les Français comprennent maintenant qu’on avait raison », estime Jean-Raphaël, un militant belfortain de 24 ans, persuadé que c’est sur ces questions d’immigration et de terrorisme que l’élection va se jouer. Élie, un quadragénaire venu de la Drôme avec sa femme et son fils, prompt à dénoncer la « préférence étrangère » appliquée selon lui en France, prédit même : « S’il y a encore un attentat avant l’élection, c’est sûr que Marine sera élue. » Certains orateurs des Estivales n’hésitent d’ailleurs pas à exploiter ce « filon » jusqu’à la corde. Samedi, pendant la table ronde « Laïcité, identité et cohésion nationale : en finir avec les capitulations », l’essayiste Gabriel Robin, membre du collectif Culture, libertés et création (Clic), proche du Rassemblement Bleu Marine, coupe tout à coup une autre intervenante : « Excusez-moi, je suis obligé de vous interrompre : il y a une fusillade en ce moment à Châtelet, près d’une église. Je viens de recevoir une “alerte attentat” sur mon téléphone. C’est très grave. » L’assistance comme l’intervenante sont évidemment saisies par l’émotion… Même si l’alerte se révèle fausse quelques heures plus tard.

Dans le discours de Marine Le Pen qui clôt le rassemblement, dimanche, le thème de l’identité nationale menacée est aussi très présent, et largement dramatisé par le contexte du terrorisme. « Cette élection de 2017 met en jeu une alternative implacable : soit la France, sa souveraineté, son identité, ses valeurs, sa prospérité. Soit un pays que nous ne reconnaîtrons plus, qui nous sera devenu étranger. »

La candidate du FN a aussi fustigé, comme à son habitude, le « multiculturalisme » ou la « religion immigrationniste ». Mais les questions économiques ont également occupé une large place dans son allocution, avec des accents antimondialistes particulièrement prononcés, reflétant le prétendu « tournant à gauche », déjà ancien, du discours FN dans ce domaine. « Nous ne sommes pas à vendre, la France n’est pas à vendre ! Nos vies ne s’achètent pas ! », a ainsi lancé Marine Le Pen sous les acclamations de ses partisans. Un positionnement contre l’ultralibéralisme qui était déjà annoncé par le programme des Estivales, avec des tables rondes sur « La banque au service de l’entreprise », « La paupérisation » ou « L’écologie patriote ». Ces questions-là résonnent aussi pour de nombreux militants, comme Gisèle, septuagénaire coiffée d’un canotier « Marine 2017 », qui est venue de la ville voisine de Six-Fours : « La mondialisation c’est le premier problème. Je suis pour l’Europe, mais pas telle qu’elle est aujourd’hui. On dirait qu’il y a un désir de nos gouvernants de paupériser la France. »

Pour autant, les choix économiques que ferait Marine Le Pen si elle était élue sont encore loin d’être évidents. Louis-Lucien, sexagénaire venu de Forbach, plébiscite les propos d’un intervenant qui plaide pour la nationalisation de certaines banques. Mais cet ancien partisan d’Alain Madelin estime aussi qu’il faut revoir les charges des entreprises à la baisse… « Marine n’a pas encore tranché sur ces questions », fait savoir Joëlle Mélin, députée européenne du FN. À moins qu’entretenir un flou artistique en matière d’économie soit, là encore, une stratégie pour « rassembler » au-delà des électeurs du parti frontiste. Mais toujours avec le sourire.

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