Identitaires : Le retour des refoulés

L’extrême droite radicale du mouvement identitaire, ouvertement raciste et homophobe, impose ses termes du débat et organise une nouvelle entrée en force au sein du Front national.

Nadia Sweeny  • 15 février 2017 abonné·es
Identitaires : Le retour des refoulés
© Photo : MATTHIEU ALEXANDRE/AFP

Au pied du pont des Arts, le drapeau en l’honneur de sainte Geneviève, patronne de Paris, flotte sur le flanc d’une péniche. C’est en hommage à celle qui aurait mis Attila le Hun en déroute que le groupe « Paris fierté », émanation identitaire locale, se retrouve en cette mi-janvier pour une « guinguette populaire ».

L’entrée est libre et l’ambiance sympathique, on y croise même Marion Maréchal-Le Pen, venue incognito rendre visite aux amis. Sur fond de chansons d’Édith Piaf, la cinquantaine de partisans, majoritairement masculins et d’allure virile, sirotent une bière autour de discussions décomplexées. « Il y a une transmission génétique ethnique du caractère, explique Franck très sérieusement. Un Noir est fainéant et bon danseur et se sentira toujours plus proche d’un autre Noir que d’un Blanc. » C’est pour cela que, selon ce guitariste d’un groupe néo-rock, la « communauté blanche » doit assurer sa survie. « Je suis contre l’avortement parce que ce sont les Blanches qui avortent le plus, dit-il convaincu, sans pouvoir citer de source_. Les musulmans n’avortent pas_ [sic]_, ils font plus de bébés que nous et sont solidaires entre eux, alors que nous, les Blancs, on ne l’est pas. On doit préserver notre ethnie, sinon on va disparaître._ »

La peur comme leitmotiv, Franck apprécie le rassemblement de ceux « qui se ressemblent ». C’est devant le stand du rappeur « Kroc blanc », en vogue dans le milieu d’extrême droite, que la discussion se poursuit. Reconnu par un aficionado, le rappeur identitaire justifie de porter un masque dans ses vidéoclips : « Je suis commercial dans une entreprise, je ne veux pas être reconnu. »

Lucas Belvaux :

« Le lieu qui s’appelle dans le film Solidarité flamande est presque un décalque d’un local (un “centre culturel”, selon leur dénomination), la Maison du peuple flamand, qui se trouvait à Lambersart en banlieue de Lille. Et dont le fondateur et leader, Claude Hermant, est en prison désormais pour trafic d’armes. Il était passé auparavant, pendant six ans, par le Département protection sécurité (DPS), le service d’ordre musclé du FN, puis était devenu indicateur pour la gendarmerie nationale. Il a créé la Maison du peuple flamand, avec salle de boxe et paint-ball, dont les activités plus ou moins clandestines sont les ratonnades, les saccages de bars gays, etc. L’entraînement militaire et paramilitaire y est la règle. Actuellement, il est donc en prison pour trafic d’armes. Parmi celles-ci : la kalachnikov de Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher à Vincennes. »

Cependant, pour ce mouvement de type néo-skinhead, il s’agit bien de quête de reconnaissance et de pouvoir. Communautaire, -ethnique, blanc. « Nous voulons un Vlad Tepes français », entonne « le seul rappeur français » à la gloire du prince des Balkans du XVe siècle, connu pour son extrême violence : il empalait ses opposants, notamment les prisonniers turco-ottomans. Pour les identitaires, la guerre a véritablement commencé.

« Elle est au cœur de ce qui les rassemble, au cœur de leur idéologie, confirme Samuel Bouron, docteur en sociologie, qui s’est immergé dans le mouvement pendant un an, en 2011. À cette occasion, il a participé à un camp d’entraînement, sous la forme d’une université d’été appelée « école de formation des cadres de la Reconquête » : « Dès le premier jour, on est inséré dans un jeu de rôles de guerriers où chacun doit défendre ses racines contre l’invasion, se souvient le sociologue. On faisait de la boxe une fois par jour et, à la fin du camp, il y avait un rite à la Fight Club _: un combat sans règles. La logique martiale forge l’identité communautaire. »_

À Lyon, où les identitaires sont particulièrement actifs, une salle de boxe « réservée aux patriotes » a ouvert ses portes fin janvier, en marge de leur lieu de rassemblement, « la Traboule ». Accessible sous réserve de parrainage, cette salle de sports de combat est nommée « l’agogée », en référence aux entraînements des jeunes spartiates. Les légendes historiques revisitées imprègnent les symboles qu’ils utilisent et par là même leur « identité ». Jeunes femmes blondes auréolées, chevaliers, casques et boucliers du royaume grec, avec comme référence « culturelle » le film américain 300, qui glorifie la lutte de Léonidas, roi de Sparte, contre l’invasion perse. Dans cette logique guerrière se tapit la vénération de l’élite humaine, le guerrier « sain de corps et d’esprit » et la femme déifiée. D’après Samuel Bouron, « ils entretiennent un véritable culte de l’homme supérieur, comparable à l’Aryen nazi. Ils considèrent l’obésité, par exemple, comme une dégénérescence. »

La formation de cette « élite » guerrière passe aussi par des cours d’idéologie, de technologie, de discours médiatique et de moyens d’entrisme dans toutes les couches de la société. L’objectif est d’imposer les termes du débat dans une démarche s’inspirant d’Antonio Gramsci. Celui-ci a théorisé la « guerre de position » : conquête des cœurs et des cerveaux comme préalable à la « guerre de mouvement » : l’insurrection avec le support des masses. La diffusion dans le débat public de notions telles que « Français de souche », «grand remplacement », « racisme anti-Blanc » est l’une des victoires revendiquées par le mouvement identitaire.

Après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac en 2002 par un proche d’Unité radicale, qui a eu pour conséquence la dissolution du groupe, la thématique de l’identité a permis la fédération de différents mouvements radicaux. Dans la foulée, deux des dirigeants d’Unité radicale, Fabrice Robert et Guillaume Luyt, ont participé à la création de l’association les -Identitaires, point de départ du développement du Bloc identitaire, un parti rival du FN, redevenu un simple mouvement en 2014 pour mieux s’immiscer dans les rangs frontistes.

Les bannis de la veille reviennent au cœur du débat et des rouages du front. Les identitaires, forts de leur formation de cadres, sont devenus le vivier du parti de Marine Le Pen, en manque cruel de compétences. Ainsi, -Philippe Vardon, ancien d’Unité radicale et de Nissa Rebela, groupe identitaire niçois, est aujourd’hui conseiller frontiste de la région Paca et membre de la cellule « idées et images » de Marine Le Pen. Il devrait être investi dans la 5e circonscription des Alpes–Maritimes. Damien Rieu, porte-parole de Génération identitaire, est salarié de la région Paca et gère la communication de Marion Maréchal-Le Pen. Arnaud Menu-Naudin, rédacteur en chef de Novopress – site du Bloc identitaire –, a été recruté en 2014 comme assistant du groupe frontiste au conseil régional de Lorraine.

Les hauts cadres frontistes n’hésitent plus à soutenir les actions médiatiques des -Identitaires et à s’offusquer publiquement des condamnations dont ils font l’objet. Louis Aliot, numéro 2 du FN, et Nicolas Bay, secrétaire général du parti, sont montés au créneau pour défendre trois d’entre eux, condamnés à trois mois de prison ferme à la suite des manifestations anti-migrants en mars 2016 à Calais.

En 2017, les Identitaires apparaissent incontournables dans l’implantation frontiste et témoignent du poids croissant de Marion Maréchal-Le-Pen. Sa visite ce 14 janvier en bord de Seine vient confirmer ces liens. Des attaches renforcées par la récupération des références chrétiennes de l’identité française, dopées par la Manif pour tous, alors qu’il y a encore quelques années les identitaires campaient sur une ligne néo-païenne. « Marion -Maréchal-Le Pen constitue à leurs yeux l’idéal féminin : blonde, mère de famille, anti-IVG et défenderesse des traditions : c’est un peu leur Jeanne d’Arc », confirme Samuel Bouron.

De fait, le groupe apprécie sa présence. Même si les photos sont interdites – « il ne faut pas qu’on la voie ici », d’après son garde du corps –, sa venue est un signe d’approbation de leur ligne idéologique, opposée à celle de Florian Philippot. « Il y a trop de pédés et de juifs au parti, il va falloir faire le ménage », affirme Fabien, militant « fasciste et fier de l’être », avant de demander sérieusement à ses amis : « Quand est-ce qu’on va à la chasse aux négros ? »

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Pourquoi le FN n'est pas républicain
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