Marine Le Pen peut-elle passer ?

Nul ne peut prédire le résultat de cette présidentielle, plus incertaine qu’aucune autre. Mais chacun se doit d’envisager toutes les hypothèses. Tribune par Dominique Vidal.

Dominique Vidal  • 1 mars 2017
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Marine Le Pen peut-elle passer ?
© Photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Sauf Madame Soleil, nul ne peut prédire le résultat de cette présidentielle, plus incertaine qu’aucune autre. Mais chacun se doit d’envisager toutes les hypothèses, y compris celle de l’élection de la candidate frontiste. Pourquoi ?

D’abord en raison de l’ascension du Front national, jusqu’ici ininterrompue. De 17,9 % à la présidentielle de 2012, il est passé à près de 25 % aux européennes de 2014 et à plus de 26 % aux départementales de 2015 – soit 6 millions de voix.

Ensuite du fait de la composition de son électorat. Selon une enquête réalisée lors du dernier scrutin [1], le FN a rassemblé, sur les exprimés, 43 % des ouvriers, 36 % des employés et 36 % des personnes n’ayant pas le bac : une véritable base populaire. D’autant qu’il a recueilli les suffrages de 35 % des 18-24 ans et de 28 % des 25-34 ans. Plus l’âge croît, et moins il attire : 20 % des plus de 60 ans. Si la jeunesse, c’est l’avenir, alors il y a de quoi s’inquiéter.

Le FN est particulièrement fort dans le nord et le sud de la France, mais il progresse aussi en influence à l’ouest. Les grandes villes lui résistent, mais il s’affirme dans toute la France périurbaine.

Dernière caractéristique importante : le degré de détermination. Selon les sondages, avec 85 % d’électeurs certains de voter pour elle, Marine Le Pen arrive en tête – et de loin – de tous les candidats. Et cela vaut également pour les législatives.

Cet enracinement doit évidemment beaucoup à la « dédiabolisation » opérée par Marine Le Pen, mais aussi à son programme attrape-tout. La candidate a réussi à gommer tout ce qui rendait le parti de son père infréquentable. On trouve bien sûr dans son discours, comme toujours, une focalisation sur l’immigration et la sécurité, mais aussi du social, du souverainisme et du protectionnisme, de l’islamophobie, etc. S’y reconnaît, on l’a vu, un électorat populaire comme bourgeois. Et cette « salade russe » – l’expression s’impose, vu le soutien de Vladimir Poutine à Marine Le Pen… – séduit même des juifs (près de 15 % d’entre eux) et, à un moindre degré, des musulmans.

Voilà le socle, solide, sur lequel s’appuie la candidature de Marine Le Pen. C’est pourquoi les sondages – à la fiabilité limitée – lui prédisent actuellement jusqu’à 28 % des voix le 23 avril. Peut-elle franchir le cap des 50 % le 6 mai ? Plusieurs facteurs incitent à ne pas exclure cette possibilité. Certes, le « plafond de verre » a fonctionné jusqu’ici : aux élections départementales, on s’en souvient, le FN a échoué à s’emparer des régions qu’il pouvait a priori conquérir. Mais lors d’une élection politique nationale ?

L’inconnue majeure, c’est l’ampleur de l’affaissement du vote de droite, du fait de l’« affaire Penelope » : combien d’électeurs républicains déçus, voire choqués, pourraient se rabattre sur le FN au second tour ?

Une autre inconnue, c’est la solidité du candidat qui fera face à Marine Le Pen, qu’il s’agisse de François Fillon ou d’Emmanuel Macron. Ce qui frappe, dans tous les sondages récents, c’est l’augmentation notable du score supposé de Marine Le Pen au second tour, de 35 % à près de 45 %.

Encore une inconnue, souvent sous-estimée : la capacité de la candidate à attirer un électorat souverainiste de droite (comme celui de Nicolas Dupont-Aignan), voire de gauche : des personnalités ex-chevènementistes n’ont-elles pas déjà fait sécession pour rejoindre les frontistes ?

Dernière inconnue décisive, politiquement et arithmétiquement : l’abstention, principale alliée de Marine Le Pen, vu la détermination de son électorat.

Mais le point d’interrogation le plus grave est ailleurs, dans ces temps troublés où la crise financière, économique et sociale se double d’une profonde crise d’alternative. La révolte contre la mondialisation néolibérale peut se porter à gauche, mais aussi à droite et à l’extrême droite. Si la gauche se présente désunie et si la droite est partiellement disqualifiée par son propre candidat, le risque est grand que la colère populaire se porte sur le bulletin Le Pen. Jusqu’à quel point, qui le sait ? Lequel d’entre nous avait vu venir le Brexit et l’élection de Donald Trump ?

Comparaison n’est pas raison. Mais comment ne pas penser à l’Allemagne des années 1920 et 1930 ? La politique sectaire du Parti communiste et la dérive droitière du Parti social-démocrate contribuèrent de façon décisive à l’irrésistible ascension du Parti national-socialiste.

[1] Enquête Ipsos/Sopra Steria, 6 décembre 2015.

Dominique Vidal Journaliste et historien. Auteur de : Le ventre est encore fécond. Les nouvelles extrêmes droites européennes (Libertalia, 2012).

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