Attac : « Faire dialoguer toutes les composantes du mouvement social »

Porte-parole d’Attac, Dominique Plihon présente ici les enjeux de l’université d’été européenne des mouvements sociaux, qui se tiendra fin août à Toulouse.

Denis Sieffert  • 26 juillet 2017 abonné·es
Attac : « Faire dialoguer toutes les composantes du mouvement social »
© photo : BERTRAND LANGLOIS/AFP

L’université d’été européenne des mouvements sociaux, qui se tient du 23 au 27 août, à Toulouse, revêt une particulière importance dans un contexte nouveau en France et sur le plan international. L’économiste Dominique Plihon, porte-parole d’Attac, analyse les raisons de la crise de la gauche et suggère quelques pistes.

Attac organise une « université d’été européenne des mouvements sociaux ». Quels sont ses objectifs ?

Dominique Plihon : L’objectif de cette université, c’est d’organiser à l’initiative des réseaux européens d’Attac une rencontre de l’ensemble des mouvements sociaux, de confronter nos analyses, en particulier sur les alternatives que nous portons, et d’organiser les futures mobilisations. Il y a déjà eu trois universités européennes. La dernière s’est tenue en 2014 à Paris. Près de 1 500 personnes y avaient pris part, venant non seulement des pays européens, mais de tous les continents. Cette fois encore, ce rendez-vous aura une dimension internationale. Ce qui est conforme à notre vocation altermondialiste. On ne peut pas proposer une alternative aux politiques actuelles sans lui donner une dimension internationale. Car l’objectif est bien de rompre avec le capitalisme financier et mondialisé.

Quel en est le programme ?

Un programme très riche

Membre fondateur d’Attac, Politis est partenaire de l’­Université d’été européenne des mouvements sociaux, qui se tient du 23 au 27 août à l’université Toulouse-II Le Mirail. Son mot d’ordre : « Débattons, résistons, agissons. C’est le moment ! » Au programme : des forums pour débattre du climat, des migrations et des mobilisations ; des séminaires et des ateliers proposés par des mouvements sociaux de toute l’Europe ; des excursions et des balades à la découverte des alternatives ; des interventions artistiques et culturelles. Nos lecteurs pourront trouver de larges échos de l’événement sur Politis.fr et dans notre numéro du 31 août. Mais, pour tous ceux qui veulent y prendre part, il est encore temps de s’inscrire. Le détail du programme et les informations pratiques sont sur le site france.attac.org.
Une centaine d’activités sont prévues : des plénières, des séminaires en trois sessions de deux heures et des ateliers sur des thèmes précis. On retrouve dans le programme les principaux axes de lutte et de mobilisation actuels du mouvement altermondialiste : finance, climat, libre-échange, travail et démocratie.

Où en est Attac au niveau européen ?

Les Attac d’Europe, présentes dans la plupart des pays de l’Union européenne, sont en réseau. Leur taille est très variable. Nous sommes dix mille en France ; Attac Allemagne compte trente mille adhérents. Le mouvement est présent dans les pays scandinaves, ainsi que dans les pays d’Europe centrale et orientale et du Sud. Global Justice Now, en Grande-Bretagne, fait partie du réseau. Ses adhérents ont été horrifiés par la campagne en faveur du Brexit, qui a reposé principalement sur le rejet des migrants. Toutes ces organisations seront présentes à Toulouse.

Comment cette rencontre s’inscrit-elle dans le contexte politique actuel ?

Le programme d’Emmanuel Macron est un véritable défi pour le mouvement social. Son discours est très habile en termes de communication : c’est le fameux « en même temps », qui présente une mesure et son contraire. Par exemple, il dit qu’il faut protéger les travailleurs de l’ubérisation, mais il supprime le compte pénibilité. Ses réformes – en particulier celles sur le travail et la fiscalité – penchent toujours du côté des forces dominantes. Son discours se présente comme la nouvelle stratégie de la classe dominante ou du bloc hégémonique bourgeois, pour prendre une expression gramscienne. Cette stratégie de l’oligarchie financière s’est imposée face à la perte de crédibilité de la classe politique, à la suite de la crise qui dure, et que Sarkozy et Hollande ont été incapables de maîtriser sur le plan du chômage, des inégalités et de la précarité.

L’habileté de Macron, c’est aussi cette posture très gaullienne qui se prétend « au-dessus des partis ». Au lieu de cliver, d’opposer, comme le faisaient Fillon et Le Pen, il dit vouloir rassembler et rompre avec les politiques anciennes. À l’entendre, nous allons faire de nouvelles politiques qui seront bonnes pour tout le monde. Il nous dit qu’il va travailler avec la société civile : c’est une imposture. Macron veut en réalité imposer les vieilles recettes néolibérales, sans débat démocratique, comme l’illustre le recours aux ordonnances.

Dans son discours, il y a aussi l’idée d’ouverture. Le piège ne serait-il pas d’apparaître comme un courant protectionniste, fermé ?

Emmanuel Macron se pose comme le défenseur de la mondialisation néolibérale et cherche à ringardiser celles et ceux qui s’opposent à cet ordre économique pervers. C’est ainsi que sa majorité au Parlement votera en faveur du Ceta en septembre. À mon avis, ce piège ne fonctionnera pas, car – en partie grâce à nos campagnes – la majorité des citoyens est hostile à ces traités de libre-échange : elle a compris qu’ils aboliront les protections et les normes sociales, sanitaires et environnementales.

L’altermondialisme s’oppose à la vision néolibérale de la mondialisation. Celle-ci prône la liberté totale des échanges et des flux financiers, pour le plus grand profit des entreprises transnationales. Les altermondialistes sont internationalistes et favorables à l’échange entre les peuples.

Mais, quand nous disons « échanges », nous ne parlons pas seulement des échanges commerciaux, nous pensons aussi aux mouvements migratoires. C’est en cela que nous nous distinguons de la droite et d’une partie de la gauche. Nous sommes dans une logique d’ouverture, y compris pour les personnes. En cela, nous sommes opposés au Front national et à Donald Trump, dont le protectionnisme s’applique aux personnes. Ce qui ne veut pas dire que l’immigration ne doit pas être régulée. Il faut des politiques communes, harmonisées, et respectueuses des droits de l’homme. Pas des murs, mais des ponts ! Cela fait partie de nos gènes.

C’est peu dire que la gauche est en crise. Comment y remédier ?

La gauche est durablement affaiblie par les expériences de gouvernement à dominante socialiste depuis Mitterrand. Nous sommes passés d’un socialisme de transformation sociale à un socialisme d’accompagnement, gagné au libéralisme et au capitalisme financier, avec des compromis inacceptables qui ont discrédité la gauche et n’ont pas apporté les résultats promis, comme la réduction du chômage ou des inégalités.

Il faut distinguer deux étapes. Il y a d’abord eu des gouvernements qui avaient encore des visées sociales et démocratiques, et qui mettaient en avant la lutte contre les inégalités et la défense des salariés. À leurs débuts, les gouvernements de Mitterrand puis de Jospin étaient dans cette logique-là. Puis il y a eu le social-libéralisme, sous l’influence de Tony Blair et de Gerhard Schröder. Hollande en a été le principal représentant français. Il y a ajouté la trahison. Rarement un président aura fait à ce point le contraire de ce qu’il avait promis – ce qui a achevé de discréditer le PS. Tout cela a rejailli sur l’ensemble de la gauche. Il faut reconstruire la gauche et réinventer un imaginaire. C’est là que nous, le mouvement social et les intellectuels, avons un rôle crucial à jouer.

Vous insistez sur le rôle des intellectuels…

Ils ont perdu en influence. Il est essentiel de reconstituer un collectif d’intellectuels ayant toute sa place dans cette phase de reconstruction. Des organisations telles qu’Attac et son conseil scientifique, les Économistes atterrés et la Fondation Copernic ont un rôle important à jouer. Un de nos défis est l’articulation entre les forces politiques (en particulier la France insoumise), le mouvement social et les intellectuels. C’est à cette condition que l’on pourra reconquérir le pouvoir des idées.

La vocation d’Attac est de contribuer à faire travailler ensemble les composantes du mouvement social. Nous avons créé l’espace commun « Nos droits contre leurs privilèges », qui réunit déjà des organisations aussi différentes que le DAL, la CGT finances, le MNCP et le Syndicat de la magistrature. On a besoin de ce dialogue entre les forces sociales et politiques. Je salue à ce sujet celles et ceux qui, au sein de la France insoumise, sont les plus ouverts à ce travail, dont certains participent à l’université d’été de Toulouse. Rien ne sera possible si on ne reconstruit pas un imaginaire à partir des alternatives, en montrant que ces alternatives peuvent faire système. La transition énergétique doit être l’axe de cette reconstruction. C’est pourquoi nous avons mené la campagne « Un million d’emplois pour le climat », dont la logique est à l’opposé des politiques imposées par le monarque Macron. L’université d’été européenne des mouvements sociaux peut être un temps fort de la reconquête démocratique.

Dominique Plihon Économiste, porte-parole d’Attac.

Pour aller plus loin…