« Tout un monde lointain », de Célia Houdart : Foyer intime

Dans Tout un monde lointain, Célia Houdart déploie une langue économe et musicale pour évoquer le mystère d’une femme.

Christophe Kantcheff  • 30 août 2017 abonné·es
« Tout un monde lointain », de Célia Houdart : Foyer intime
© photo : Hélène bamberger/pol

À quoi reconnaît-on l’existence d’une langue ? À si peu. À beaucoup. Quelque chose de dansant au gré des phrases, une légèreté même si l’architecture est ample. En un mot : une grâce. Dans le premier chapitre de Tout un monde lointain, le cinquième roman de Célia Houdart, que se passe-t-il ? Au cœur de la nuit, une femme, au volant de sa voiture, toutes vitres ouvertes car il fait chaud, se sent enveloppée par cette tiédeur ; elle arrête son moteur, se recoiffe dans le rétroviseur. Bref, il ne se passe rien, diront certains. Moments propices, cependant, pour entendre si une langue est là ou non. En l’occurrence, une musique vibre assurément.

Deux femmes sont au centre du livre. L’une, designer et architecte qui a réellement existé, Eileen Gray (1878-1976), est présente par l’une des villas qu’elle a construites, sur la Côte d’Azur, à Roquebrune-Cap-Martin : la célèbre « E.1027 ». L’autre est la femme de la voiture, Gréco, d’un certain âge. Elle a connu la précédente et est fascinée par cette maison, désormais à l’abandon à cause de droits de succession compliqués, mais qu’elle souhaiterait acquérir.

Gréco « laissa les choses venir à elle. Visions, sensations ». Dans un premier temps, c’est exactement l’état du lecteur. Celui-ci perçoit des couleurs, des parfums, des tonalités d’émotions et de sentiments. Avec une grande économie de moyens, Célia Houdart parvient à faire ressentir la douceur de vivre de Gréco, en même temps que les tourments qui pourraient l’assaillir, mais qu’elle sait contenir et éloigner. Son esprit ne cesse de tourner autour de la villa E.1027 – que les descriptions de l’auteure rendent quasi vivante –, d’autant que deux inconnus, un couple de jeunes gens, la squattent désormais. Gréco se manifeste auprès d’eux. L’occasion pour elle d’abord de retourner (illégalement) dans la maison en train de se délabrer. Mais, peu à peu, elle se lie réellement d’amitié avec ces deux originaux, beaucoup plus jeunes qu’elle et… très accueillants. Il est alors possible pour le lecteur d’entrevoir ce qui se joue avec ce trio, et qui est une autre façon de repeupler un espace délaissé.

Outre la villa d’Eileen Gray, il y a en effet dans Tout un monde lointain une seconde maison vide, plus mystérieuse encore : celle, intérieure, de Gréco, une maison de souvenirs, que sa fascination pour la villa E.1027 permet sans doute de tenir à distance. Célia Houdart signe là un très beau roman de réconciliation intime suscitée par une rencontre profonde et inattendue.

Tout un monde lointain, Célia Houdart, POL, 200 p., 14 euros.

Littérature
Temps de lecture : 2 minutes