Climat : In vino veritas…

Les vendanges ont commencé depuis des semaines, signe d’une transformation de la vigne et du vin sous l’influence du dérèglement climatique, ce qui menace les AOC.

Claude-Marie Vadrot  • 5 septembre 2017
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Climat : In vino veritas…
© photo : FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

Les vendanges ont commencé sur le territoire français à la fin du mois de juillet dans le Sud-Ouest. En Italie et en Espagne les premières grappes ont été coupées dans le courant du même mois. On retrouve ce phénomène dans la vallée de la Napa non loin de San Francisco, où s’étend le vignoble américain le plus renommé. Quand au raisin fournissant le champagne, sa récolte a commencé dans les derniers jours du mois d’août. Tout comme dans certains vignobles bourguignons, le Beaujolais par exemple. Partout, même dans les terroirs de la vallée de la Loire les moins concernés, la période des vendanges s’éloigne de l’automne. Avec une avance, par rapport au siècle dernier, qui se compte désormais en semaines. Un phénomène que les milieux du vin se sont efforcés pendant des années d’ignorer ou de nier : les changements climatiques transforment cette culture et le commerce du vin.

Les vignes malmenées

Il y a bien sûr le redoublement des accidents météorologiques comme la grêle, les orages violents, le gel ou les excès de chaleur aux mauvais moments de la croissance de la vigne ; ils ont compromis cette année, comme en 2016, la quantité et la qualité de la récolte ; ce qui permettra au négoce du vin de faire grimper les prix. Mais il y a surtout l’augmentation, lente, insidieuse, mais permanente des températures moyennes régnant sur tous les vignobles. Au point que les grandes sociétés de champagne ont acheté des terres dans le sud de la Grande-Bretagne et commencé à les planter. Ils ne pourront pas y produire de champagne, puisque cette appellation est protégée, mais y mitonner, d’ici trois ou quatre ans, des vins « effervescents » qu’ils orneront de leurs valorisantes marques.

Mais le double et véritable problème est ailleurs. D’abord, un certain nombre des cépages utilisés en France ne supporteront pas indéfiniment la lente progression des températures moyennes. Que restera-t-il du vin produit si le climat transforme radicalement la plupart des caractéristiques singulières et toutes les originalités de culture ayant permis l’homologation des appellations d’origine ? La production de bons vins repose sur le délicat équilibre d’un écosystème additionnant les caractéristiques du sol, l’environnement naturel, l’orientation des vignes, les cépages cultivés avant d’être savamment mélangés, la température, l’ensoleillement et le rythme de la pluviométrie. Beaucoup des cépages utilisés déterminent en partie la reconnaissance des AOC, et il faudra que les vignes quittent progressivement les plaines et migrent sur les collines ou sur le flanc des montagnes. Ce qui ne sera pas possible partout.

Haute teneur alcoolique

Ensuite, en France comme aux États-Unis, en Espagne et en Italie, le réchauffement et l’ensoleillement accroissent la teneur en alcool. Aux États-Unis, une partie du vin n’est plus vendable. En France, par exemple, depuis le milieu du siècle dernier, la teneur des vins produits en Alsace a augmenté de près de 2 degrés. 

Ce phénomène se vérifie sur l’ensemble du territoire. Dans le Bordelais, royaume des vins chers et vendus à l’exportation, la progression de la teneur en alcool des grands crus est telle que beaucoup de « châteaux » renommés, bien qu’ils s’en défendent, ont recours à de mystérieuses manipulations destinées à abaisser le degré alcoolique de leurs productions en les filtrant dans des membranes. 

La plupart des vignobles sont discrètement en crise en dépit des efforts de l’Inra, qui cherche de nouveaux cépages moins sensibles à l’évolution climatique. L’ère du bricolage et du traficotage de la boisson nationale a commencé. Certains viticulteurs envisagent même de mettre subrepticement un peu d’eau dans leurs vins ; au sens littéral du terme. D’autres le font déjà, trouvant des méthodes secrètes pour tromper les dégustateurs.

Ce que refusent de voir la plupart des viticulteurs, c’est que tout le système de classement des vins français devra être revu. Cela promet un climat tendu dans ces milieux qui ont tardé à regarder les évolutions en marche.

Temps de lecture : 4 minutes
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