Randy Newman : Matière à sarcasme

Dark Matter, le nouvel album de Randy Newman, le premier depuis neuf ans, rappelle qu’il est un auteur exceptionnel aux multiples talents.

Jacques Vincent  • 4 octobre 2017 abonné·es
Randy Newman : Matière à sarcasme
© photo : Pamela Springsteen

Il pourrait y avoir plusieurs manières d’entendre le titre du nouvel album de Randy Newman, Dark Matter, mais c’est bien sa signification scientifique qu’il faut retenir. La matière noire est cette matière présente dans le cosmos, connue des astrophysiciens, qui n’ont pourtant aucune certitude sur sa composition.

L’expression figure dans le premier morceau, le très long « The Great Debate ». Un débat (ou est-ce un match?) organisé façon cabaret entre des scientifiques et des croyants de différentes obédiences qui s’affrontent autour de questions comme cette fameuse matière ou la théorie de l’évolution. On ne dira pas lesquels en ressortent vainqueurs. En tout cas nous sommes d’emblée en présence du mode satirique très coutumier de Randy Newman. Un mode qui pourrait le rapprocher ici du Zappa du début des Mothers of Invention, non pas pour une ressemblance musicale directe mais dans la mesure où le sarcasme ne se cantonne pas aux mots et aux situations, il s’incarne aussi dans la musique, en premier lieu à travers les intonations vocales.

Le disque continue dans la même veine avec « Brothers ». Les frères en question sont John et Bob Kennedy, et la scène se situe en 1962 au moment de la crise des missiles de Cuba. Newman invente une conversation entre eux, de laquelle il ressort que, pour John Kennedy, l’opération de la Baie des cochons avait essentiellement pour objectif de permettre à la chanteuse Celia Cruz, dont il était fan, de quitter l’île. « Les États-Unis ont envahi certains petits pays pour pas beaucoup plus que cela », commente l’auteur.

Dans la foulée, « Putin » est une chanson absolument hilarante inspirée par ces photos parues il y a quelques années d’un Poutine torse nu immortalisé dans un moment intense de démonstration virile. Ce portrait de Poutine est un vrai festival de sarcasmes du genre : « Il peut déclencher un réacteur nucléaire/avec la partie gauche de son cerveau […] quand il enlève sa chemise/j’ai envie d’être une dame. »

Arrivé là, on s’attend à voir, dans la même tonalité, le portrait de son homologue américain. Mais, de son propre aveu, caricaturer Donald Trump s’avère un exercice impossible, même pour Randy Newman, qui a fini par renoncer. On ne caricature pas une caricature.

Ce qui lui laisse l’opportunité de se tourner vers une autre facette de son inspiration avec des chansons plus intimistes et sentimentales comme « She chose me » ou « Wandering Boy » – un genre par lequel il se dit moins intéressé mais dans lequel il excelle pourtant, et qui offre un équilibre face aux compositions plus sarcastiques. Ou de s’adonner à un autre mode d’écriture, également une de ses marques de fabrique, consistant à évoquer un sujet à la première personne en adoptant le point de vue d’un personnage qu’il interprète comme le ferait un comédien. Ce qui lui a valu quelques malentendus par le passé quand il campait un raciste dans « Rednecks » ou un type qui proférait les pires horreurs sur les gens de petite taille dans « Short People » pourtant son seul hit en près de quarante ans de carrière – donc peut-être pas uniquement pour de bonnes raisons. Ici, dans « It’s a Jungle Out There », le personnage en question est un paranoïaque pour qui le monde n’est que violence et danger, une vision sans doute partagée par nombre de ses concitoyens qui ont vu en Trump une réponse à leurs angoisses.

Randy Newman dit lui-même qu’on pourrait reprocher à ce disque de partir dans trop de directions. On se gardera de cette critique, préférant souligner à quel point les neuf morceaux qui le composent illustrent autant de facettes de son exceptionnel talent, que le temps n’a toujours pas commencé à éroder.

Dark Matter, Randy Newman, WEA.

Musique
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