Pour une nouvelle alliance entre animaux, éleveurs et mangeurs !

Jean Ziegler, Paul Ariès, Carlo Petrini et Josef Zisyadis proposent dans cette tribune de repenser notre alimentation et l’élevage pour refuser le productivisme.

Paul Ariès  et  Carlo Petrini  et  Jean Ziegler  et  Josef Zisyadis  • 21 mars 2018
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Pour une nouvelle alliance entre animaux, éleveurs et mangeurs !
© LAURENT FERRIÈRE / HANS LUCAS

L’année 2018 commence par un double signal.

La famine menace à nouveau presque un milliard d’humain.

Nous ne pourrons nourrir 8 et bientôt 10 milliards d’humains que si nous choisissons d’avancer vers une alimentation bonne, saine et juste, ce qui suppose déjà de nous prémunir de deux dangers relatifs à notre alimentation carnée. Le premier danger serait de nous laisser imposer une alimentation toujours plus carnée, le second danger serait d’accepter les viandes artificielles issues des biotechnologies. Nous refusons ces deux aspects d’un même productivisme. Nous faisons, au contraire, le pari qu’il est possible de manger certes moins de viandes mais meilleures, car garantissant le bien-être animal, de bonnes conditions de travail aux éleveurs, aux salariés des abattoirs, et, le maximum de plaisir, de partage et de santé aux mangeurs.

Une alimentation moins carnée

Signataires : Paul Ariès, politologue Carlo Petrini, président de Slow Food international Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial auprès de l'ONU sur la question du droit à l'alimentation dans le monde Josef Zisyadis, président de Slow Food Suisse
La viande représente environ 50 % de notre impact sur l’environnement au titre de notre alimentation alors que son apport en nutriments est infiniment plus faible : le taux de transformation des calories végétales en calories animales est de 4 pour 1 pour la production de porc et de poulet et de 11 pour 1 pour le bœuf et le mouton. Toutes les viandes n’ont pas le même bilan carbone : il faudrait au regard de ce seul critère préférer le poulet au porc, le porc au mouton, le mouton au bœuf, le bœuf au veau. Le choix des viandes les moins nocives n’est, cependant, pas aussi simple au regard d’autres critères. Il faudrait, par exemple, préférer la viande de veau et de bœuf au porc et à la volaille, car ces derniers, omnivores sont des concurrents directs des humains alors que les ruminants, grâce à leur système de digestion, transforment des aliments grossiers à base d’herbe en protéines utilisables par les humains et ceci, sur des surfaces (plateaux montagneux, plaines inondables) où il serait impossible de réaliser du maraîchage ou des céréales. La viande de bovin est, en outre, beaucoup moins chargée en résidus de pesticides et de produits chimiques que les autres. La production de 1 kilo de viande de veau rejette, cependant, la même quantité de gaz à effet de serre qu’un trajet automobile de 220 kilomètres contre 30 km pour 1 kilo de porc. Pour une même surface, une alimentation végétale nourrit 30 personnes, une alimentation à base de viande, œufs, lait 5 à 10 personnes, et, si ce repas comprend surtout de la viande rouge, 2 à 3 personnes. Nous ne devons pas oublier, cependant, les services indispensables que les animaux d’élevage rendent en matière d’aménagement des territoires mais surtout de qualité des sols. Sans élevage, nous serions acculés à une fuite en avant vers toujours plus d’industrialisation et d’artificialisation agricoles.

Le piège des biotechnologies

L’autre grand danger est l’invention d’une agriculture sans élevage avec le développement de substituts industriels aux productions animale, qualifiées d’élevage « biotech ». Ces premières viandes artificielles pourraient être introduites sur le marché sous forme de carpaccio avant d’être commercialisées, dans dix ans, sous forme de morceaux produits in vitro. Cette solution présentée comme miraculeuse ne va pas sans menaces : produire de la viande artificielle entraînerait des coûts exorbitants, nécessiterait d’énormes quantités d’hormones pour favoriser la croissance et d’antibiotiques pour éviter les contaminations. Depuis le début du XXIe siècle, on ne compte plus cependant les brevets déposés pour produire de la viande soit par clonage soit en cultivant en laboratoire des cellules musculaires de poulet, de bœuf ou de porc, comme on le pratique, déjà, pour fabriquer de la fausse bière ou des faux yaourts. Les promoteurs de cette agriculture sans élevage se recrutent au sein des grandes firmes. La fondation Bill Gates soutient ainsi Beyond Meat et Hampton Greek Foods qui proposent, déjà, des ersatz de poulet sans poulet, de bœuf sans bœuf, des œufs qui n’en sont pas, etc.

L’alternative à ces deux dérives productivistes est bien d’inventer un nouveau mariage entre les humains et les animaux, les premiers donnant de bonnes conditions d’élevage et les seconds offrant leur viande, dans le respect de la chaîne alimentaire.

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Tribunes

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